Un portrait de Normand Baillargeon: premier traducteur francophone de "mémoires d'un esclave" Print
Written by Patricia Turnier   
Thursday, 28 October 2010 17:33

 

Photo: Nathalie St-Pierre 

 

Le Dr Normand Baillargeon, né en 1958 fait partie de l’intelligentsia québécoise et exerce la fonction de professeur en sciences de l'éducation à l'Université du Québec à Montréal (UQÀM). Il détient deux doctorats : un en sciences de l’éducation et un autre en philosophie. Il porte plusieurs casquettes : essayiste, militant libertaire et collaborateur de revues alternatives – À Bâbord, la revue de philosophie Médiane dont il a occupé le rôle d’un des fondateurs et notamment Le Couac.

Il a été chroniqueur au journal Le Devoir (l’un des plus grands et prestigieux quotidiens francophones en Amérique) et a participé à l’émission Bazzo.TV, sur les ondes de Télé-Québec. Il importe d’ajouter que le Dr Baillargeon a interviewé l’un des plus grands intellectuels contemporains, Noam Chomsky (1).

 

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Être d’exception au parcours d’une adversité extrême, Afro-américain le plus célèbre de son temps, Frederick Douglass (2) (activiste, secrétaire assistant à la commission de Saint Domingue en 1871 (3) , ambassadeur américain accrédité en Haïti (1889-1891 ) (4), militant, tribun, féministe, négociateur, conseiller présidentiel...) (5) nous livre authentiquement ses mémoires, un texte s’imposant comme l’un des plus beaux hymnes à la liberté qui existe. On y découvre l’émancipation physique et intellectuelle de ce personnage historique incontournable. On voit comment il a appris à lire (en grande partie seul dès son enfance vers l’âge de huit ans) avec tous les dangers de l’époque auxquels il devait faire face. Cet ouvrage représente une apologie du pouvoir du savoir, de la lecture et de l’écriture, puissantes armes menant à la route de la liberté.

Dans ce livre écrit en 1845, et dont Lux Éditeur a offert la première traduction vers le français en 2005, Douglass nous laisse un legs en exposant (à l’aube de la trentaine) sans complaisance et sans ambages le récit de sa vie d’esclave, de la séparation de sa mère à la naissance, en 1818, dans une plantation du Maryland, jusqu’à son évasion en 1838, qui lui donna la possibilité de se réfugier au Nord des États-Unis. Cette autobiographie nous offre ainsi un témoignage poignant et éloquent de l’esclavage, une grande leçon de stoïcisme et d’espoir en l’avenir. Se faisant respecter par son érudition dotée de qualités intellectuelles et morales hors du commun, il devint rapidement au XIXe siècle une figure incontournable du mouvement pour l’abolition de l’esclavage, auquel il se voua. (6)

Douglass représentait la voix de ses quinze millions compatriotes afro-américains. Il a fait le choix d’écrire ses mémoires afin de pourvoir sa crédibilité mise en doute par certains qui croyaient difficilement que Douglass avait été un esclave de par son éloquence. On retrouve dans cette seconde édition critique (7), en format de poche une introduction des traducteurs Normand Baillargeon et Chantal Santerre, une chronologie ainsi que de longs extraits du fameux discours du 4 juillet prononcé par Frederick Douglass en 1852. Il serait souhaitable que dans le futur ce puissant livre d’une portée universelle soit traduit dans d’autres langues (créole, wolof, espagnol, etc).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un extrait percutant de l'ouvrage:

 

"Si un esclave était parvenu à s'enfuir, si un autre avait tué son maître, mis le feu à une étable ou fait quoi que ce soit de terriblement mal aux  yeux d'un propriétaire d'esclaves, on parlait de tout cela comme des effets de l'abolition.  Après avoir souvent entendu ce mot dans ce contexte, je cherchai à savoir ce qu'il voulait dire.  Le dictionnaire ne me fut pas d'un grand secours.  J'y lus que c'était "l'acte d'abolir"; mais je ne savais toujours pas ce qui devait être aboli.  J'étais perplexe.  Je n'osais pas aller me renseigner auprès de qui que ce soit sur la signification de ce mot et  j'étais ravi de savoir que c'était un sujet sur lequel on souhaitait  que j'en sache le moins possible".

Frederick Douglass

Les réactions des médias:

"Ces chants racontaient une odyssée de malheurs qui étaient alors bien au-delà de mes faibles capacités de compréhension; leurs sonorités puissantes, lourdes et profondes laissaient échapper la prière et la complainte de l'âme des esclaves débordant d'une amère soufrance.  Chaque note était un témoignage contre l'esclavage et une prière s'élevant vers Dieu pour l'implorer de les libérer de leurs chaînes", Louis Cornellier, Le Devoir, 13 et 14 novembre 2004

"Témoignage de lucidité et de courage, cet ouvrage conserve sa force aujourd'hui, dans un monde où la servitude existe toujours, non seulement sous ses formes anciennes, mais aussi sous des formes nouvelles, souvent déguisées et méconnaissables," Alain Accardo, Le Monde diplomatique, Juin 2005

"Frederick Douglass a été un célèbre militant abolitionniste, un défenseur de la cause des femmes, un écrivain, un conférencier et un politologue qui a assisté et contribué à l’abolition de l’esclavage. L’habile et rigoureuse traduction de ses premiers écrits par Normand Baillargeon et Chantal Santerre lui rend bien hommage. De même, l’important travail de recherche qui alimente les préfaces, annexes et les notes enrichissent la lecture." Marie-Hélène Côté À babord!, Octobre/Novembre 2005

 

Cet article a été diffusé ailleurs entre autres en Europe (en mai 2008).  Depuis la parution de cet article, Dr.  Baillargeon est intervenu dans le documentaire Chomsky & Cie sorti en 2008 et dans L'encerclement de Richard Brouillette, sorti en 2009

 

Publications du Dr Baillargeon:

 

  • (sous la direction de) Là-haut, il n'y a rien. Anthologie de l'incroyance et de la libre-pensée, Presses de l'université Laval, Québec, 2010.
  • Stéroïdes pour comprendre la philosophie, Amérik Média, Verdun, 2010.
  • avec Christian Boissinot (Éds) Je pense, donc je ris. Humour et philosophie, Presses de l'université Laval, Québec, 2010.
  • Raison oblige. Essais de philosophie sociale et politique, Presses de l'université Laval, 2009.
  • Contre la réforme. La dérive idéologique du système d'éducation québécois, Presses de l'université de Montréal, Montréal, 2009.
  • avec Daniel Baril (Éds) Heureux sans Dieu, VLB Éditeur, Montréal, 2009.
  • avec Christian Boissinot (Éds) La vraie dureté du mental. Hockey et philosophie, Presses de l'université Laval, Québec, 2009.
  • L'Ordre moins le pouvoir. Histoire et actualité de l'anarchisme, quatrième édition, Agone, 2008.
  • Sève et sang. Chants et poèmes de révolte et d'espoir. Anthologie, Mémoire d'encrier, Montréal, 2007.
  • Écrits dans la marge. Réflexions libres et libertaires, Éditions Trois-Pistoles, 2006.
  • Éducation et Liberté. Anthologie, Tome 1 : 1793-1918, Lux Éditeur, 2005.
  • Petit cours d'autodéfense intellectuelle, Lux Éditeur, 2005. Une version réduite, antérieure au livre, a été publiée sur Internet.
  • Trames. Esthétique/politiques, Éditions Nota Bene, 2004.
  • L'Ordre moins le pouvoir : histoire et actualité de l'anarchisme, troisième édition, Lux Éditeur, 2004.
  • Les Chiens ont soif. Critiques et propositions libertaires, Lux Éditeur , 2001.

  

En collaboration:

 

  • Noam Chomsky, Pour une éducation humaniste, Éditions de l'Herne, Paris, 2010. Introduction et entretien avec Chomsky.
  • Voltairine de Cleyre, L'action directe, Le Passager Clandestin, Paris, 2009. Présentation.
  • Voltairine de Cleyre, D'espoir et de raison. Écrits d'une insoumise, Lux Éditeur, Montréal, 2008. Introduction, choix de textes, coordinaton des traductions, traductions et bibliographie : Normand Baillargeon et Chantal Santerre.
  • Rabîndranâth Tagore, Les oiseaux de passage, Le Noroît, Montréal, 2008. Introduction, traduction et bibliographie : Normand Baillargeon.
  • Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l'opinion en démocratie, Édition La Découverte, Collection Zones, Paris, 2007. Introduction et bibliographie : Normand Baillargeon. Paru au Québec chez Lux Éditeur, Montréal, 2008.
  • Bertrand Russell, Principes de reconstruction sociale, Presses de l'Université Laval, Collection Zétésis, Québec, 2007. Introduction, révision de la traduction, notes et bibliographie par Normand Baillargeon.
  • Normand Baillargeon et Jean-Marc Piotte (dir.), Au bout de l'impasse à gauche - Récits de vie militante et perspectives d'avenir, Lux Éditeur, 2007.
  • Lewis Carroll, La Chasse au Snark, Édition Bilingue, Lux Éditeur, Traduction et annotations, 2007.
  • Edward Bellamy, C'était demain, Introduction et édition critique (avec Chantal Santerre),  Lux Éditeur, 2007. (Traduction de: Looking Backward, 1888)
  • Frederick Douglass, Mémoires d’un esclave. Seconde édition revue et corrigée. Traduit de l’anglais par Normand Baillargeon et Chantal Santerre,  Lux Éditeur, 2007.
  • Jean Bricmont, L'Impérialisme humanitaire. Préface : Devoir d'ingérence et aveuglement collectif, Lux Éditeur, 2006.
  • Michael Albert, L’Élan du changement. Préface, Écosociété, 2004.
  • David Barsamian et Normand Baillargeon, Entretien avec Chomsky, Écosociété, 2002.
  • Gilbert Langevin, PoéVie, Anthologie préparée par Normand Baillargeon, Typo, 1997.
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    Notes:

    1 David Baramian et Normand Baillargeon, Entretien avec Chomsky, Écosociété, 2002

    2 Premier esclave noir devenu homme politique, philosophe et écrivain

    3 Source:  Africana: The Encyclopedia of the African and African American Experience, Kwame Anthony Appiah et Henry Louis Gates, Jr., (1999) p.  628

    4 Ibid

    5 Frederick Douglass a joué un rôle capital au niveau du treizième amendement de la constitution américaine.  Lorsque la guerre civile aux États-Unis éclata, il avait approché le président américain Abraham Lincoln pour lui demander d'envisager la possibilité de faire participer à la guerre les Afro-Américains.  Le président était réticent de prime abord car il s'inquiétait du fait que les Noirs soient armés.  Monsieur Douglass a prouvé qu'il était un excellent négociateur en proposant de garantir aux Afro-Américains la liberté dans le but d'éviter une rébellion de leur part.  Ainsi, le treizième amendement de la constitution américaine fut ratifié après la guerre civile (qui a pris fin le 26 mai 1865), soit le 18 décembre 1865 menant à l'abolition légale de l'esclavage à travers le pays en 1866.  Par contre, il importe de souligner le caractère ambigu de la personnalité de Lincoln ainsi que dans l'application du treizième amendement à savoir que la libération des Afro-Américains ne s'est pas déroulée de façon rapide et automatique (sources:  revue "L'Histoire" (www.histoire.presse.fr_ no 329 mars 2008, p.  44, W.E.B.  Dubois, Les Âmes du peuple noir, 339 pages, Édition La Découverte (26 avril 2007)).

    6 Il importe de noter que Frederick Douglass a dû être très prudent dans ses écrits en n'indiquant pas comment il s'est émancipé afin de ne pas barrer la route à ses contemporains afro-américains recherchant la liberté.

    7 La réédition du livre s'est déroulée dans le cadre du Mois de l'histoire des Noirs et du bicentenaire de l'abolition de l'esclavage dans l'empire britannique célébré en 2008