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Critique du livre: Le pouvoir de l'échec PDF Print E-mail
Written by Patricia Turnier   
Friday, 09 May 2025 13:42

 

L’ouvrage d’Arnaud Granata traite surtout d’échecs professionnels et entrepreneuriaux au Québec.  Alexandre Taillefer,  l’ancien investisseur de la populaire émission québécoise Dans l’œil du dragon a préfacé le livre.  On apprend dans le bouquin comment les gens ont pu se relever et tirer leur épingle du jeu.  Il est très intéressant d’apprendre dans le livre qu’en moyenne en France (la nation où l’auteur est né) cela prend neuf ans pour se remettre d’un échec professionnel ou se réinventer, contrairement à une année au Danemark, ou six en Allemagne. Il explique les différences de perception de l’échec selon les pays.

Granata invoque qu’en Amérique du Nord l’échec représente une expérience permettant d’en tirer des leçons. La vision est donc plus positive. À titre d’exemple, Thomas Edison a dû faire des milliers de tentatives avant de réussir à mettre au point son ampoule électrique. L’inventeur américain ne considérait pas ses tentatives et écueils comme des échecs mais plutôt comme des solutions qui ne fonctionnaient pas. Grâce à sa détermination, il a fini par trouver celle qui marchait. L’auteur cite dans son livre Henri Ford: « l’échec est simplement l’occasion de recommencer, cette fois plus intelligemment». L’auteur a aussi mis l’exemple d’Einstein dans son bouquin. On croit que ce scientifique était dyslexique. Il a eu un retard au niveau du langage et n’a pas parlé avant 6 ans. Ce difficile départ dans la vie ne l’a pas empêché de devenir l’un des plus grands physiciens du XXième siècle. En sus, les lecteurs découvrent dans l’ouvrage que la revue Harvard Business a fait savoir que les grands entrepreneurs connaissent trois échecs pour un succès. Généralement, les Américains parlent d’échec sans tabou.

Le livre relate, entre autres, les aventures d’entrepreneurs québécois qui ont été interviewés. Ils partagent leurs embûches et succès. L’auteur donne aussi des exemples d’entrepreneurs connus internationalement comme Bill Gates qui aurait fait faillite avant de créer Microsoft. Ce qui a permis à Bill Gates de réussir en informatique, c’est que dès ses cinq ans, à une époque où très peu de gens utilisaient des ordinateurs, il se familiarisait avec cela. Cette initiative lui a permis d’avoir une longueur d’avance. En sus, il était avant-gardiste et proactif en comprenant l’importance de l’informatique. Je peux citer aussi comme exemple Martha Stewart, la première femme américaine self-made milliardaire qui a utilisé dès le début de la création de son entreprise l’informatique. Ceci démontre à quel point elle était visionnaire.

Granata a donné l’exemple d’Oprah Winfrey qui a connu son premier échec en tant que journaliste pour une chaîne de télévision. Elle a réussi grâce à sa résilience et à la confiance en soi. Elle a compris qu’elle n’était pas faite pour le type de journalisme qu’on tentait de lui imposer lors de sa première expérience dans le domaine. Elle a suivi son instinct qui lui a grandement servi. Habituellement, en journalisme on exige l’objectivité, ce qui n’existe pas véritablement puisqu’il ne s’agit pas d’un domaine scientifique, à titre d’exemple. L’empathie qu’Oprah a pour la plupart de ses interviewés a fait son succès et c’était cet aspect de son travail que son ancien employeur lui reprochait. On réussit en étant unique quel que soit le domaine et non en calquant un modèle pré-établi ou autrui. De plus, habituellement, quelle que soit la discipline, on réussit si on a fait minimum 10 000 heures de pratique. La culture de l’effort, de la persévérance, de la détermination et du dépassement de soi sont inéluctables. C’est ainsi qu’on adopte une excellente éthique de travail. On retrouve des citations pertinentes dans le livre qui illustrent les propos de l’auteur et de ceux qu’il a interrogés. D’autres font réfléchir les lecteurs comme celle du feu Colin Powell « Il n’y a aucun secret pour réussir. C’est le résultat de la préparation, le travail acharné et l’apprentissage de l’échec. » ou l’énoncé d’Aristote : « Être heureux ne signifie pas que tout est parfait. Cela veut dire que vous avez décidé de regarder au-delà des imperfections. »

L’autodiscipline compte beaucoup dans la réussite en entrepreneuriat, mais selon des experts, seulement environ 17% des gens possèdent cette qualité et pourtant cela s’apprend. Il faut savoir se gérer seul dans ce domaine et être capable de créer une excellente équipe lorsque la situation l’exige.

L’auteur a partagé une expérience d’échec vécue durant son adolescence. Ceci rend le livre plus intimiste et il rend compte de ce qu’il a retiré de cette expérience malgré la douleur que cela a provoquée. Noter les gens n’a rien à voir avec la valeur intrinsèque d’un être humain. Malheureusement, il existe des systèmes mis en place faisant accroire ce leurre. Faussement, certains individus croient que vivre un échec fait d’eux quelqu’un d’indigne ou d’inférieur. En d’autres mots, l’échec ne définit aucunement une personne.

Il importe de souligner qu’il existe un contexte nous rappelant qu’on valorise la crème à plusieurs niveaux ce qui est susceptible de rendre l’échec très difficile à vivre. Par exemple, des palmarès sont créés pour les universités et écoles. Mettre le nom de certaines institutions dans son CV peut avoir beaucoup de poids afin d’accéder aux postes les mieux payés. Ne pas avoir été recruté pour ces emplois ou ne pas avoir été admis aux meilleures institutions scolaires peut être vécu comme un échec personnel, social et/ou familial.  Beaucoup croient qu'on gagne le respect de la société en accédant aux milieux considérés privilégiés.  On observe souvent quelles institutions scolaires les chefs d’État ont fréquenté ainsi que les juges à la cour suprême. Les exemples sont nombreux: plusieurs présidents américains ont été à Harvard et Yale. Le président actuel a fréquenté Wharton. Le premier ministre canadien Carney a été à Oxford et Harvard. Certains parents poussent très tôt leurs enfants afin qu’ils puissent accéder aux écoles faisant partie de l’élite, ce qui est susceptible de mettre beaucoup de pression sur les personnes concernées. Ceci peut donner le sentiment à ces jeunes d’être appréciés pour ce qu’ils accomplissent et non pour ce qu’ils sont.  En d'autres mots, ils seront portés à croire que leurs validations ou valeurs dépendent de leurs prouesses.  Nous vivons dans un monde favorisant l’image (en d’autres mots le paraître), la compétition, la performance et la réussite sociale. Ceux qui n’y arrivent pas risquent de se sentir dévalorisés et jugés. Le feu comédien québécois Michel Côté avait dit, dans une entrevue, qu’il est préférable de choisir une carrière pour l’amour et non pour l’argent. Bien des gens ont opté pour la sécurité, mais ils ne sont pas heureux pour autant.

L’auteur a interviewé des gens intéressants qui partagent leur vision de l’échec comme l’ancienne présidente de l’ordre des psychologues du Québec Rose-Marie Charest. Cette dernière explique, entre autres, pourquoi les générations Y et Z sont prêtes à prendre plus de risques et semblent moins craindre l’échec. Selon l’auteur, les plus grands entrepreneurs de la planète sont devenus comme des rock stars. Ceci laisse donc croire que bien des gens sont influencés par ce phénomène qui crée un effet d’entraînement.

Avec la panoplie des personnes présentées dans le livre, on comprend que ces gens ont su concrétiser leurs rêves en sachant mettre à exécution leurs idées, en se faisant confiance, en tirant des leçons de leurs échecs avec discernement. La majorité possède probablement une âme d’aventurier, a une aisance de mettre en place des nouvelles idées, ne craint pas de prendre des risques et vivent bien avec les incertitudes. Via les récits, on perçoit comment les échecs passés n’ont pas eu d’impact sur le présent et futur des interviewés.

Il aurait été intéressant que l’auteur analyse si l’échec dans le domaine des affaires et en politique, à titre d’exemples, est plus accepté socialement pour un homme qu’une femme. Trump a d’ailleurs été nommé dans son livre publié avant son premier mandat présidentiel. Vu qu’aucune femme n’a été présidente de la république, on peut déduire que la société américaine accepte qu’un homme ayant fait six fois faillite puisse devenir chef d’État. Trump a également pu redevenir milliardaire malgré ses déboires financiers. Il n’a pas eu à faire face à un plafond de verre. Il semble donc que le regard demeure plus clément envers la gent masculine et on lui permet de prendre plus de risques avec moins de conséquences. En outre, les femmes vivent-elles mieux ou pas les échecs que les hommes ? Sont-elles plus résilientes ou pas ? Sont-elles plus soutenues ou pas ? Si elles sont moins appuyées, cela crée-t-il plus de barrières mentales pour elles que les hommes ? Ont-elles plus à perdre vu que la plupart du temps elles sont responsables de leurs enfants, surtout après une séparation avec le père? Ces aspects mériteraient d’être explorés. L’entrepreneuse Caroline Néron a été interviewée pour le livre avant sa faillite. Il serait à propos, dans une nouvelle édition, de savoir si elle pense avoir été jugée plus sévèrement vu qu’elle est une femme. En d’autres mots, est-ce qu’on accepte plus facilement les erreurs entrepreneuriales chez les hommes et ceux-ci sont-ils davantage soutenus pour se relever ? La culture judéochrétienne joue-t-elle un rôle sur la réussite ou l’échec des entrepreneurs puisque par exemple les finances ne sont pas enseignées dans les écoles primaires et secondaires ? Tous ces points pourraient être analysés.

Il aurait été bien d’étudier les facteurs pouvant provoquer des échecs comme le refus (conscient ou pas) de se plier aux injonctions familiales. Il serait aussi opportun de savoir si la plupart des entrepreneurs qui ont réussi ou rebondi avaient un plan d’affaires ou pas, s’ils ont dû faire des réajustements, s’il fallait qu’ils reculent pour mieux sauter, s’ils avaient une vision étriquée ou pas de leur marché, s’ils ont bien visé ou pas leur clientèle-cible tout en répondant à leurs besoins, s’il fallait améliorer la qualité du service, s’il y avait des pièges à éviter, s’ils ont affronté leurs problèmes tardivement ou pas, etc. Il existe cet adage: si tu es entouré de cinq millionaires, tu deviendras le sixième. Il aurait été intéressant de savoir de qui les gens qui ont réussi ou ont échoué sont-ils environnés? Il aurait été également bien de s’informer si généralement il est plus facile de se relever d’un échec lorsqu’on est jeune sans responsabilités ou pas. Il importe de souligner que les téléréalités donnent l’illusion aux jeunes du succès instantané. La plupart du temps, il y a beaucoup de travail derrière un succès. Il s’agit d’un marathon et non d’une course. Souvent, lorsqu’un succès arrive trop rapidement cela ne dure pas car il n’y avait pas une réelle préparation.

Il aurait été intéressant de connaître les qualités (par exemple la résilience, la flexibilité, une excellente capacité d’adaptation pour se réinventer suite à une situation perturbée) et défauts intrinsèques des gens qui réussissent et échouent. S’agit-il de personnes positives ou pas, de gens pouvant objectivement évaluer de façon réaliste leurs forces et faiblesses (en d’autres mots n’ayant pas une vision tronquée de leurs failles et habiletés), etc.? Est-ce que les gens qui se relèvent plus facilement des échecs ont plus de facilité à faire fi du regard des autres? Ont-ils reçu un accompagnement leur permettant de mieux gérer leurs échecs et de rebondir sur de meilleures bases? Savent-ils mieux s’entourer? Ont-ils accès à de meilleurs outils? Savent-ils élaborer de meilleures stratégies tout en les appliquant adéquatement? Dans le futur, comment prendre les bonnes décisions qui s’imposent aux bons moments? Ces aspects mériteraient d’être explorés y compris les méthodes mises en place sur l’Internet notamment chez les entrepreneurs qui ont réussi.

Vu qu’en Amérique du Nord, plusieurs entreprises éprouvent de la difficulté à passer le cap des 5 ans pour la survie, ces questions devraient être traitées: comment protéger légalement son conjoint en tant qu’entrepreneur pour éviter un échec familial? Quels sont les facteurs aidant les entrepreneurs à éviter la faillite?, etc.

Même s’il n’est jamais agréable d’échouer, l’ouvrage nous rappelle que l’échec n’est pas une fin en soi. Le livre offre des réflexions pertinentes. loin des recettes miracles et toutes faites. On comprend qu’il est possible d’atteindre un épanouissement professionnel en tirant les leçons de nos échecs qui peuvent servir d’apprentissage. Il est donc réalisable de progresser ou de prendre une autre direction après avoir pris du recul (avec sagesse, maturité et intelligence émotionnelle…) et fait une introspection (quel sens faut-il donner à notre échec, s’agit-il d’un acte manqué?, d’autosabotage car on n’est pas en harmonie avec soi-même ou le but recherché ne répond pas véritablement à nos aspirations les plus profondes? Était-il question plutôt d’un refus (conscient ou pas) de trahir son milieu d’origine en devenant un transfuge de classe, etc. ?), d’un manque de préparation, de ne pas avoir fixé des objectifs atteignables avec des moyens réalistes, de ne pas avoir créé une stratégie de développement sur le marché, de ne pas avoir un excellent carnet d’adresses, de ne pas avoir reconnu ou su saisir des opportunités, etc. ?

Pour conclure, des gens vraiment captivants et ayant une grande expérience dans divers domaines ont été interrogés comme la femme d’affaires Christiane Germain, l’ex-investisseuse pour l’émission Dans l’œil du dragon. Il est intéressant d’apprendre qu’elle a coulé la chimie durant son secondaire et qu’elle a dû changer d’école à cause de cela. Heureusement, cette mauvaise expérience n’a pas ébranlé son estime de soi au point que cela ait un impact sur son avenir, mais cela soulève des questions. Ce genre de situations sont nombreuses. Par exemple, Elvis a eu un C en musique durant sa scolarité. Le brillant juriste et philanthrope Gandhi avait difficilement terminé son secondaire et il a échoué des cours après avant d’étudier le droit à Londres. Steve Jobs ne s’intéressait plus à l’école avant qu’il devienne un grand entrepreneur. L’éducation devrait être fondée sur les intérêts et habiletés des enfants tout en leur donnant un savoir de base. Habituellement, on est bon dans ce qu’on aime et ce qui nous passionne. Peut-être que le système scolaire est trop théorique, pas assez pragmatique et épicurien, tout en incitant les jeunes à rentrer dans un moule.  Les entrepreneurs sont généralement créatifs et le cadre académique laisse peu de place à cet aspect.

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