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Entrevue exclusive avec le producteur du documentaire sur Harry Jerome: Selwyn Jacob PDF Print E-mail
Written by Patricia Turnier   
Tuesday, 19 April 2011 15:40

Selwyn Jacob est né à Trinité-et-Tobago et vit au Canada depuis 1968.  Il a obtenu sa maîtrise à l’Université de la Californie du Sud et a commencé une carrière à la fois en éducation et en réalisation de films.  Suite à cela, il est devenu un professeur et après un directeur d’école.  Plus tard, il a débuté sa carrière en tant que producteur et réalisateur de films indépendants. À ce titre, il a réalisé Remember Amber Valley en 1984 et Carol’s Mirror en 1991.   Il a réalisé et produit The Road Taken en 1996.  Selwyn Jacob est lauréat de divers prix en tant que cinéaste.  Il a travaillé à Vancouver pour l’Office national du film de la zone pacifique et du centre Yukon depuis la fin des années 90.  À cet égard, Selwyn Jacob s’est joint à l’Office national du film du Canada en 1997 en tant que producteur de la diversité culturelle.  Il a produit plusieurs films et documentaires au courant de sa carrière.  Ses documentaires ont fait la chronique de plusieurs sujets concernant les Chinois canadiens et les soldats canadiens de la première guerre mondiale, parmi tant d’autres thèmes.  Il a produit et couvert plusieurs projets cruciaux tels que The Journey of Lesra Martin, l’histoire de l’ancien jeune de la rue qui a aidé avec les autres Canadiens, Rubin “Hurricane” Carter à sortir de la prison.  Le personnage et la vie de Lesra Martin ont aussi été dépeints dans le fameux film “The Hurricane” mettant en vedette Denzel Washington dans le rôle de Rubin Carter et Vicellous Reon Shannon incarnant le personnage de Lesra Martin. 

Jeni LeGon:  Living in a great big way fait partie des documentaires les plus acclamés de Selwyn Jacob.  Il s’agit de la première actrice noire de Hollywood à avoir signé un contrat à long terme avec l’un des studios majeurs de Hollywood, MGM (l’entente consistait à gagner entre 1 250$ et 1 500$ par semaine pendant une période de cinq ans).  Les productions les plus récentes de Jacob comprennent Between the Laughter, un film à propos du cheminement de Stephen O’Keefe qui est devenu le premier humoriste atteint de surdité au Canada;  My Father, My Teacher, une exploration portant sur la relation entre le producteur de films Inuvialuit (Inuit des Territoires du Nord-Ouest) Dennis Allen et son père.

En avril 2009, Jacob a commencé à travailler pour la production du documentaire sur la vie de Harry Jerome[1] avec le directeur Charles Officer.  Le documentaire est basé sur le livre acclamé par la critique Running Uphill de l’auteur Fil Fraser.   Le film explore la vie et la turbulente carrière de l’icône afro-canadienne ayant battu des records dans le domaine de l’athlétisme.

Il fut un temps où Jerome était l’homme le plus rapide de la planète et il est considéré comme le Jessie Owens canadien.  Le feu Jerome a fait des compétitions à trois Jeux Olympiques et il a marqué l’histoire en gagnant la médaille de bronze à Tokyo en 1964.  L’athlète a donné beaucoup de fierté au Canada.  Il a été reconnu comme un symbole national de l’excellence dans le monde du sport et dans la communauté.  Jerome a été immortalisé par une belle statue à Vancouver au Parc Stanley et par le centre multi-sports Harry Jerome en Colombie-Britannique.  Le documentaire de Selwyn Jacob, Mighty Jerome a été mis sur le marché en septembre 2010.

On a fait mention du travail de Jacob dans plusieurs publications comme Who’s who in Black Canada (Dawn P.  Williams, 2002), “Choosing the Road Taken”, New Trail (publication des anciens étudiants de l’Université d’Alberta, 1997). Selwyn Jacob nous a légué un héritage et nous attendons impatiemment ses prochaines contributions.  Nous lui avons parlé au printemps 2009 lorsqu’il réalisait le documentaire "Le grand Jerome" (Mighty Jerome:  titre de la version anglaise).  Cet article a été publié en Ontario en anglais et en français en Afrique.  Cette entrevue a été menée par la rédactrice en chef Patricia Turnier qui a traduit l’entrevue en français.


Harry Jerome en bref [2]


 

La statue de Harry Jerome au Stanley Park (Vancouver)

 

Réalisations athlétiques:


Le 13 mars 1959:  Jerome est arrivé ex æquo avec l’icône canadienne Percy Williams pour le 100 mètres précisément en 10 secondes à l’école secondaire North Vancouver

Le 18 juillet 1959: Au Winnipeg (Manitoba) Jerome a gagné le championnat canadien à la course du 100 mètres avec un temps de 10.4 secondes

Le 15 juin 1962:  En Alberta, Jerome a remporté le temps record de 20.7 secondes au 220 mètres au U.S.  National Collegiate Athletic Association

Le 8 août 1964:   À St-Lambert (Québec), Jerome a gagné au championnat canadien d’athlétisme le 100 mètres avec un temps de 10.6 secondes

Jeux Olympiques:

Médaille de bronze 15 octobre 1964 (Tokyo) 
100 mètres

Jeux Panaméricains:

Médaille d'or 31 juillet 1967 (Winnipeg)
100 mètres


31 août 1969:  A Victoria (CB), le champion Jerome répète son temps record canadien de 10.5 secondes au 100 mètres.   Cet événement est devenu la dernière compétition officielle de Jerome.

Taille:  5’11
Poids:  190 livres

Éducation:  Certificat en enseignement, Août 1968, Université de la Colombie-Britannique
                     Maîtrise en éducation physique, Juillet 1968, Université d’Oregon
                     Baccalauréat en éducation physique, Juillet 1964, Université d’Oregon
                    
Emplois: 

- Harry Jerome était un professeur de mathématiques et de sciences pour la commission scolaire Richmond de 1964 à 1965
- Jerome était un professeur d’éducation physique de 1965 à 1968 pour la commission scolaire de Vancouver
- Jerome a travaillé dans le domaine du conditionnement physique et dans le sport amateur en 1972 et aussi en tant que chercheur sportif de 1968 à 1969

Informations additionnelles:

- Harry Jerome a reçu des consécrations de ses fans à travers le monde et de la part de l’ancien Premier ministre du Canada Lester Pearson (récipiendaire du prix Nobel de la paix en 1957) durant un événement soulignant le centenaire (de la Constitution canadienne[3]) en 1967

- Suite à la retraite de Jerome en 1969, le Premier Ministre Pierre Trudeau l’a approché pour la création du nouveau ministère canadien du sport

- Chaque année depuis 1983, le  BBPA[5] (http://www.bbpa.org) accorde le prix Harry Jerome aux membres afro-canadiens qui excellent dans un domaine particulier.  Le prix Harry Jerome est reconnu comme étant le plus grand événement afro-canadien.

- Une statue au Parc Stanley (Vancouver) a été érigée en l’honneur de Harry Jerome le 28 mai 1988

- Une requête en 2001 a été faite officiellement pour qu’on donne le nom “Harry Jerome” à une rue au Nord de Vancouver.
 
- En 2001 Jerome a été introduit au Canada's Walk of Fame.


Les fameuses citations du livre de Fil Fraser’s Running Uphill:

“Harry Jerome est le Jessie Owens du Canada.  Il a dû faire face aux mêmes luttes de son temps comme Jessie.  Franchement, le visage de Harry Jerome devrait se retrouver sur les billets du dollar.  Il devrait être un héros national pour tout ce qu’il a subi”, Donovan Bailey, cinq fois champion du monde et médaillé d’or aux Olympiques

“Harry Jerome était bien sûr un formidable athlète.  Quand on regardait Harry courir, il avait l’air de voler”, John Braithwaite, ancien conseiller municipal, Ville du Nord de Vancouver

“La vie de Harry Jerome était réservée à des histoires puissantes – il a gagné nos cœurs, il a brisé nos cœurs et il est mort trop tôt”, Cheryl Foggo, auteur, cinéaste et historien

 

Patricia Turnier s’adresse à Selwyn Jacob:
 
 

P.T.  Comment avez-vous débuté votre carrière en tant que cinéaste et producteur?

S.J. Je me souviens, il y a quelques années lorsque je pensais à m’inscrire aux écoles de cinéma, tous mes contemporains se dirigeaient vers les universités.  Ils étudiaient des matières comme l’art, les sciences, le génie, le droit et la médecine.  Aucune de ces disciplines ne m’attirait.  Je n’étais pas assez brave pour dire aux gens ce que je voulais vraiment faire.  Cela paraissait si farfelu que je pensais que les gens riraient et la dernière chose dont j’avais besoin était du découragement.  Je n’ai même pas dit à mes parents ce que je voulais réellement accomplir.  Je me suis dit que j’obtiendrai un baccalauréat ce que j’ai effectivement fait.  J’ai complété un bac en éducation pour devenir enseignant.  Lorsque j’ai gradué de l’école de films, j’ai pris la décision de devenir cinéaste.  Au fait, je savais dans mon cœur ce que je voulais accomplir depuis que j’avais 11 ans après avoir vu mon premier film.  À ce moment, je ne voyais pas d’images de Noirs sur les écrans et je me suis dit que je souhaitais contribuer à ce domaine en devenant acteur.  Après, j’ai réalisé que ce n’est pas l’acteur qui décide quelle histoire sera racontée. 

Je dois dire que j’ai souffert beaucoup parce que les gens ressentent le besoin de dénigrer ceux qui ont choisi le domaine des arts.  Je n’avais pas de mentors alors cela n’a pas aidé. À cette époque, la plupart des gens avaient une perception très limitée de cette profession.  Certains pensaient que la production de films consistait à travailler dans un laboratoire (en vue de créer la production cinématographique).  Ils avaient une idée très abstraite de ce que c’était réellement.  Très peu de personnes dans mon entourage avaient des connaissances concernant la narration d’une histoire ou étaient en mesure d’utiliser les plus récentes technologies disponibles.  La personne la plus proche que j’ai rencontrée à Edmonton a été mon mentor Fil Fraser qui a écrit “Running Uphill”.  Il a produit environ trois longs métrages au milieu des années soixante-dix.  C’est de cette façon que je suis devenu fasciné par son travail.  Nous sommes devenus de bons copains et nous avons cultivé notre amitié depuis.  Son travail m’a définitivement inspiré.  Quand je suis devenu un producteur en Alberta, j’ai fait un film (“We Remember Amber Valley”) à propos de la communauté noire La Biche qui n’existe plus.  J’ai fait des recherches sur cette communauté et j’ai découvert qu’elle était issue d’Oklahoma.  Ces gens sont arrivés en Alberta en 1910.  Je les ai rencontrés et j’ai voulu raconter leur histoire.  C’est de cette façon que j’ai fait mon premier documentaire en 1984.  Ce court métrage à propos d’Amber Valley est devenu une archive vivante.  J’étais le seul documentariste afro-canadien à l’époque dans cette province.  Je devais chercher un moyen pour trouver des gens intéressés à travailler avec moi.  Ce n’était pas facile d’obtenir du support que ce soit sous la forme de subventions ou autres.  Je me suis dit que je devais faire ce film par mes propres moyens.  Je suis devenu le producteur de mon film.  Par conséquent, cela a fait partie de mon travail de rechercher le financement nécessaire pour produire mon film.  Cela est devenu un moment tournant dans ma vie.  Lorsque j’ai fait ce film, cela m’a donné l’opportunité de mettre dans mon CV mes expériences en tant que producteur et cinéaste.  Quatre ans plus tard, j’ai réalisé mon prochain film.  Éventuellement, ma deuxième production s’est retrouvée au Festival international du film de Toronto.  Je ne m’attendais pas à cela si tôt.  Ainsi, progressivement, c’est de cette façon que je me suis retrouvé impliqué dans la cinématographie. 

P.T.  Vous avez produit plusieurs documentaires concernant l’histoire afro-canadienne.  Pourquoi ce thème est important pour vous?

S.J.  La raison pour laquelle j’ai produit des documentaires à propos de ce thème est l’une des causes pour lesquelles j’ai décidé de m’impliquer dans le domaine cinématographique.  En grandissant en Trinité, j’ai constaté que la représentation des Noirs dans ce domaine était rare.  Nous étions sous-représentés au cinéma et j’ai développé une fascination pour cette sphère.  J’ai fréquenté des écoles de cinématographie aux États-Unis pendant plusieurs années.  Plus tard, j’ai vécu dans l’Ouest canadien.  À cette époque, les Noirs étaient toujours très peu représentés au cinéma et aux domaines connexes.  J’ai trouvé attirant de communiquer la culture noire parce qu’elle n’existait pas vraiment dans les médias.  Ceci est aussi devenu un choix pratique parce qu’il y avait un marché significatif parmi les auditeurs.  J’avais aussi l’éducation pour traiter de l’histoire noire.  J’ai commencé à enseigner en Alberta.  Quelqu’un avait entendu que j’avais étudié dans le domaine cinématographique et m’a ainsi approché pour produire le film à propos de la communauté noire La Biche située à vingt minutes de l’endroit où j’enseignais.  Quand j’ai commencé avec ce film “We Remember Amber Valley”, je voulais continuer le travail avec des histoires semblables.  Je pensais qu’il était important de mettre de l’avant une arène cinématographique concernant l’histoire afro-canadienne.  Ceci est devenu un catalyseur pour moi.

P.T.  Jusqu’à maintenant, quel est votre documentaire qui a eu le plus profond impact parmi les auditeurs?

S.J.  Je ne sais pas si je peux en choisir un.  Je pense que celui concernant les employés des wagons-lits , “The Road Taken”, est le documentaire qui a eu l’impact le plus profond chez les auditeurs parce qu’il s’agit d’une histoire inédite.  Le thème et l’angle choisis étaient différents de la perception commune de l’époque.  La sagacité était qu’ils occupaient un emploi important.  Pendant plus de 100 ans, cela était perçu comme un très bon travail avec tous les bénéfices qui s’y rattachaient.  L’équipe avait des beaux uniformes, elle voyageait à travers le pays et voyait des endroits que le Canadien moyen n’avait pas explorés.

P.T.  Cette perception provenait de la société en général ou plus particulièrement des Afro-Canadiens?

S.J.  Je pense que cette perception était partagée par les deux.  Les gens ne savaient pas qu’il existait beaucoup de discriminations pour cet emploi.  Si l’on obtenait un travail en tant qu’employé des wagons-lits et qu’on était âgé de 35 à 45 ans, c’était le seul emploi qu’on pouvait trouver en tant qu’Afro-Canadien.  Il n’y avait pas d’opportunités pour gravir les échelons.  Les compagnies canadiennes de chemin de fer imitaient ce que les compagnies américaines de chemin de fer faisaient à l’époque.  Il y avait des employés américains de wagons-lits[6]  qui se rendaient au Canada et faisaient face aux mêmes conditions de travail qui étaient difficiles.

P.T.  Est-ce que cela se produisait quel que soit le niveau d’éducation de ces gens?

S.J.  Le niveau d’éducation n’avait pas d’importance.  Avoir un diplôme secondaire ou universitaire ne faisait pas de différence.  C’était le seul emploi qu’ils pouvaient obtenir à cette époque.  Quand les Afro-Canadiens appliquaient aux compagnies de chemin de fer en tant qu’employés de wagons-lits, il s’agissait de la seule attribution qui leur était accessible.  On ne pouvait pas devenir cuisinier ou occuper une autre fonction.  Quelqu’un pouvait avoir fréquenté une école technique et recevoir des habiletés de base en ingénierie ou posséder d’autres aptitudes mais n’était pas en mesure de travailler en tant que mécanicien pour le train, superviseur ou remplir n’importe quelle autre fonction.  Lorsque j’ai produit le documentaire, cela fut un choc pour la société dans son ensemble d’apprendre que ce genre de discrimination existait.  Cette situation était indiscutée parce que plusieurs de ces hommes craignaient pour leur emploi et n’osaient pas s’exprimer.  Leur silence a donné plus de pouvoir aux gens qui exerçaient la discrimination.  Cela leur a permis de maintenir le statu quo.  Si ces hommes se plaignaient de leurs conditions de travail, ils seraient renvoyés.  Le prochain homme en ligne obtiendrait l’emploi avec les mêmes difficiles conditions.

P.T.  Est-ce qu’il y avait des syndicats qui existaient à cette époque dans ce domaine?

S.J.  Il n’y avait pas de syndicats et même s’il y en avait, ils complotaient avec l’employeur.  Cela prenait quelqu’un de très sérieux et brave pour défier le statu quo.  L’attitude de ne pas se plaindre a été inculquée parce que les travailleurs avaient peur de parler ce qui pouvait mettre leur emploi en jeu.  Ils n’avaient pas beaucoup d’options.  Les employés des wagons-lits qui étaient interviewés disaient que s’ils n’exerçaient plus leur travail, les uniques possibilités pour eux étaient de devenir cireurs de chaussures ou chauffeurs de taxi.

P.T.  Il était probablement plus facile pour eux de parler de leur situation après leur retraite.

S.J.  Définitivement ou c’était leurs enfants qui parlaient. À cette époque, les employés des wagons-lits avaient une sorte de double personnalité.  Ils devaient porter un masque et ils ne leur étaient pas permis de s’exprimer par rapport à ce qui se passait.  Lorsqu’ils étaient à la maison, ce n’était pas nécessairement tous les membres de la famille qui connaissaient leur douleur.  Cependant, je dois dire qu’historiquement les employés des wagons-lits ont reçu le soutien de certains politiciens et du Congrès juif du travail[7].  Ils ont trouvé des alliés avec des gens liés à des organisations défendant les droits humains et plus spécifiquement des travailleurs.  Ils leur ont donné du support et ils ont défié les syndicats.  Éventuellement, ils ont gagné durant les années 60 et 70.  C’est de cette façon que le travail est devenu non racialisé.  Un Afro-Canadien pouvait devenir un chef de train par exemple.

Pour revenir à mon documentaire “The Road Taken”, il s’agit d’une histoire douce-amère.  Dans la communauté noire, travailler comme un employé de wagons-lits était perçu comme l’atteinte à un certain statut.  C’était vu en surface comme un travail décent (relativement parlant).  Dans les trains, ils étaient traités comme des citoyens de seconde zone.  Ils ne pouvaient pas manger dans les salles à dîner.  Ils n’étaient pas en mesure de faire beaucoup de choses.  Il était difficile pour eux de défendre leurs droits lorsqu’ils étaient insultés et maltraités.  J’ai mentionné avant que pour savoir ce qui se passait réellement, il fallait parler aux enfants des employés des wagons-lits.  Par exemple, pour “The Road Taken”, j’ai interviewé un jeune homme de Montréal (qui écrivait pour le Montreal Star) du nom de Clifton Ruggles.  Lorsqu’il grandissait, son père ne parlait jamais de son travail.  Quand il a fréquenté plus tard l’université durant un été, il a travaillé en tant qu’employés de wagons-lits pour expérimenter ce que son père a vécu.

P.T.  Je suppose que c’était le meilleur moyen pour avoir une meilleure compréhension et pour éprouver de l’empathie.

S.J.  Exactement.  Je dois ajouter que Clifton Ruggles a écrit des poèmes à propos de cette expérience.  C’est lorsque l’on expérimente soi-même ce qui se passe réellement que l’on peut comprendre comment ces hommes sont devenus amers parce qu’ils ne partageaient  pas cela avec leurs enfants.  Toutefois, ils ont été capables de permettre à leurs enfants de fréquenter les universités pour s’assurer qu’ils obtiennent de meilleures conditions de travail.

Lorsque j’ai filmé “The Road Taken”, la ville de Montréal a joué un rôle important dans ce documentaire.  Nous avons tourné à la Petite-Bourgogne parce qu’ils étaient des employés de wagons-lits provenant de ce quartier.  Nous avons aussi couvert les fameux clubs de nuit de ce territoire où les employés de wagons-lits passaient du temps.  Tous les célèbres afro-américains comme Louis Armstrong avaient l’habitude de jouer  aux clubs de nuit.  Les employés des wagons-lits m’ont parlé des célébrités de l’époque comme les joueurs afro-canadiens de hockey des années 30 et 40.  Ils étaient originaires de la Nouvelle-Écosse et le hockey faisait partie de leur culture.  Pour ces gens, lorsqu’ils ne s’entraînaient pas aux sports, au domaine de la musique, à l’éducation ou n’importe à quelle autre sphère, ils travaillaient dans les trains.

Pour le documentaire, j’ai aussi approché un club social de Montréal intitulé “The colored women’s club ”[8].  Les membres de ce club étaient principalement les épouses des employés des wagons-lits.  80% des Afro-Canadiens de Montréal travaillaient pour les compagnies de chemin de fer.  Ils étaient considérés comme étant relativement bien établis socialement comparativement aux autres Noirs qui n’occupaient pas des emplois décents à cette époque.  J’ai parlé à l’une des femmes du club social qui a suggéré de souligner à la fois les bons et mauvais aspects dans mon documentaire.  En d’autres mots, elle voulait que je brosse un portrait  nuancé de l’emploi.  Par conséquent, j’ai présenté en premier dans le documentaire les bons aspects du travail et après les frustrations reliées aux pratiques discriminatoires ainsi que le manque de promotion.  Je me suis efforcé à présenter un tableau nuancé.  Je crois que cette approche a créé un plus profond impact parce que des Blancs m’ont dit avoir voyagé dans les trains et ils percevaient toujours les employés des wagons-lits comme des gens heureux vu qu’ils souriaient.  Ils n’avaient jamais su que ce genre de choses se produisaient.  Ils pensaient qu’ils avaient un emploi fabuleux avec des uniformes formidables.  Tout dépend de l’optique prise pour décrire la problématique.  Mon documentaire démontrait le tableau complet.  Il y avait d’autres personnes qui ont apprécié le film mais qui se demandaient pourquoi j’ai présenté cela de façon si négative.  Leurs expériences sont probablement fondées sur les 15 à 20 dernières années mais mon documentaire dressait le portrait de la situation sur une période dépassant les 80 dernières années.

P.T.  Pouvez-vous parler du processus de création et de l’importance de la production du film à propos de Harry Jerome?

S.J.  Harry Jerome était un célèbre athlète canadien et encore plus.  Il a utilisé son statut pour le progrès social.   Il était intéressé à l’égalité des droits pour tous les citoyens.  Son activisme social était aussi important ou même plus important que ses contributions en tant qu'athlète.  Il a utilisé son statut de célébrité pour remettre en question le système en rencontrant des politiciens et d’autres personnes clés.  Il était crucial pour lui de soulever des problématiques et des questions liées au manque de représentation des minorités dans certains domaines en l’amenant à l’attention des gens au pouvoir.  Il a soulevé des questions en demandant pourquoi nous ne voyons jamais des Noirs, des Amérindiens ou des gens issus des autres cultures dans certains rôles.  Cet aspect était important en ce qui a trait à la perspective historique.  L’activisme de Jerome a amené comme résultante divers changements.  Il y a cinquante ans, il était presque impossible pour les minorités d’obtenir certains types d’emplois au Canada.  Nous devrions lui donner du crédit pour avoir été celui qui a initié le fait de défier le statu quo.

En ce qui a trait au processus de création du documentaire, cela a été fait avec la collaboration du réalisateur Charles Officer.  Harry Jerome est décédé depuis environ 27 ans.  Cela fait longtemps et certaines personnes qui le connaissaient sont mortes.  D’autres le connaissaient seulement de nom.  Cependant, les citoyens sont au courant de l’existence des Prix Harry Jerome.  Son nom a été utilisé pour définir ces prix dans le but de célébrer l’excellence au Canada dans n’importe quel domaine comme le travail social, l’intellectualisme parmi tant d’autres et pas uniquement en athlétisme.  Le défi pour nous dans la production du documentaire est de voir quels aspects de l’histoire nous pouvons utiliser pour s’assurer que les gens se sentiront liés.  Nous avons opté pour cette approche.  À cet égard, nous couvrons les Prix Harry Jerome.  Les gens parleront des accomplissements de Jerome sur la piste et en tant qu’activiste social.  Dans la salle de montage, il est possible que nous nous concentrions sur les entrevues qui soulignent les divers aspects de sa vie et de ses contributions.  Nous utiliserons les séquences archivées des courses de Jerome.  Nous aurons aussi des séquences des Prix Harry Jerome qui démontrent comment on s’est souvenu de lui 25 ans après sa mort.

P.T.  Pourquoi cela a été important de commencer à filmer le documentaire durant l’événement des Prix Harry Jerome?

S.J. La raison était qu’il s’agissait du premier événement qui se déroulait lorsque nous avons obtenu le feu vert de l’ONF pour faire le documentaire.  Nous avons reçu l’autorisation environ en janvier ou février.  L’événement des prix Harry Jerome a lieu une fois par année en avril.  Si nous n’avions pas commencé à tourner en avril, nous aurions été obligés d’attendre une autre année pour inclure cet événement dans notre documentaire.  Cela coïncidait avec notre horaire pour être en mesure de filmer l’événement lorsqu’il avait lieu.  La prochaine partie du film comprendra des entrevues avec diverses personnes.

P.T.  Vous avez certainement mené une grande recherche à propos des maints aspects de la vie de Harry Jerome.  Quelles sont les sources principales d’informations utilisées pour la production du documentaire?

S.J.  Nous avons en premier utilisé le livre de Fil Fraser, “Running Uphill”.  Il y a beaucoup de recherches dans cet ouvrage.  Nous avons obtenu les droits d’auteur pour ce livre.  Le réalisateur du documentaire a compulsé l’ouvrage et a décidé quels personnages seraient utilisés pour le film.  Nous avons commencé à faire une liste de ceux que nous désirons interviewer.  Nous avons rencontré certaines de ces personnes.  Nous avons mené des entrevues préliminaires avec elles.  Il peut y avoir environ 25 à 30 personnes mentionnées dans le livre.  Durant le processus de rencontre, nous avons décidé combien d’athlètes nous allons utiliser et à combien de chroniqueurs aurons-nous besoin de parler.  Nous nous sommes demandé si nous avons besoin de parler à la mère ou à d’autres parents.  Harry Jerome avait des sœurs.  Il avait une femme et une fille à Edmonton.  On s’est aussi demandé si nous avons besoin de leur parler, de s’adresser à son coach athlétique ou à son meilleur ami.  Il avait une infirmière.  Elle était présente quand Jerome a eu son attaque.  Cette professionnelle pourrait être une autre personne intéressante à interviewer.  Par conséquent, lorsqu’on  parle à ces gens, on développe une orientation pour l’histoire.  Il s’agit d’une sorte de processus d’audition.  Nous avons utilisé les sources principales.  Nous avons fait un choix des personnalités qui seraient les plus intéressantes pour l’orientation de notre thématique concernant notre documentaire.  Il y a aussi des gens qui nous donnerons des informations mais qui ne souhaitent pas apparaître dans le film.  Nous devons respecter cela.

P.T.  Votre partenaire Charles Officer, réalisateur, a spécifié aux médias que Harry Jerome incarnait la persévérance de l’esprit humain.  Cet athlète a remporté du succès nonobstant les obstacles.  Il a continué à courir avec succès jusqu’à la fin des années 60 malgré une très grave blessure aux Jeux Perth du Commonwealth en 1962.  Les médecins croyaient initialement qu’il ne pourrait plus jamais marcher.  Pouvez-nous nous parler du courage de Jerome tout au long de sa carrière et de la façon dont cela sera traité dans votre documentaire?

S.J. Je pense que la meilleure façon dont nous pouvons parler de Harry et de son courage est de s’adresser aux gens qui étaient proches de lui à l’époque.  Récemment, lorsque je me trouvais à Toronto, j’ai parlé à son épouse.  Elle m’a dit que Harry avait peur de se rendre à l’hôpital lorsque les muscles d’une de ses jambes avaient besoin de soins.  Il s’agit d’une des meilleures histoires que nous avons obtenues en ce qui a trait particulièrement à cette blessure et à sa gravité.  Nous parlerons de son courage.  Les auditeurs apprendront ce que le corps médical avait à dire à propos de cela.  Dr Gillespie l’avait opéré.  Je crois qu’il vit actuellement à Vancouver.  Le réalisateur Officer planifie de lui parler.  Nous approcherons son entraîneur en athlétisme.  Nous avons aussi des informations provenant des coupures de presse, des séquences de Jerome en personne.  Nous allons avoir les détails de ce qui est arrivé à sa jambe et du consensus général de l’époque.

Dans la salle de montage, nous garderons la meilleure partie qui décrira l’incident en question.  Lorsque les gens réaliseront ce qu’il a dû surmonter, je pense qu’ils apprécieront davantage à quel point il était courageux et brave.  Après sa chirurgie, le consensus général consistait à dire qu’il ne serait plus capable de marcher convenablement.  Par conséquent, la course était hors de question.  La réalité était que Jerome s’est rétabli de sa blessure et a participé par la suite à d’autres Olympiques.

P.T.  Est-ce que vous parlerez aussi du fait que certaines personnes dans les médias pensaient que Harry Jerome simulait sa blessure?

S.J.  Cela fera définitivement partie de l’histoire principale de Harry Jerome parce que sa relation avec la presse n’était pas positive.   Par exemple, lorsqu’il se préparait pour une course, il arrivait qu’un journaliste l’approche pour lui demander de le suivre vers un autre emplacement pour une entrevue.  Pour Jerome, se retrouver sur la piste pour la course était sa priorité.  Il voulait gagner une médaille pour le Canada.  En tant qu’athlète si tu adoptes cette attitude:  “Je vais vous parler après la course” au lieu de “Je vous parlerai avant la course”, ce n’était pas apprécié par les journalistes.  À l’époque, certains chroniqueurs ne comprenaient pas cette perspective des athlètes.

P.T.  Ils ne se rendaient pas compte qu’avant une course, il importe d’être prêt physiquement et mentalement.

S.J.  Exactement.  Une préparation physique et mentale s’impose.  La préparation mentale peut signifier vouloir être seul, en paix et ne pas parler.  Il faut se préparer psychologiquement pour une course.  Il y a eu beaucoup de malentendus avec la presse.  La relation de Harry Jerome avec les médias m’attire particulièrement en ce qui a trait à son histoire.  Quand j’étais à l’université, un enseignant nous a montré des séquences des Olympiques.  Le professeur a fait référence à Jerome concernant sa difficile relation avec la presse.  Cela a attiré mon attention et je suis resté imprégné de cela à travers les années.  Le professeur a basé son argument sur ce qu’il lisait dans les journaux.  L’information a été recyclée à travers les générations et si l’on est tout simplement un étudiant qui écoute le professeur, on ne se rendrait pas compte de ce qui se trouve derrière l’histoire.

P.T.  Je crois également que c’est de cette façon que la propagande et le lavage de cerveau sont créés.

S.J.  Exactement.  Il faut rechercher l’information sous tous les angles pour se faire une idée via une analyse.  Ceci est mon travail en tant que cinéaste.  C’est ma fascination.  J’ai lu et j’ai pris note des nuances.  La communauté noire a réalisé ce qui arrivait et a cherché à corriger la situation en fondant le Harry Jerome Awards.  Certaines personnes percevaient Jerome comme quelqu’un qui avait échoué mais la communauté afro-canadienne le voyait comme un avant-gardiste.  Ses accomplissements n’étaient pas banals.

La presse du Canada de l’Est en particulier avait un biais contre Jerome.  Il vient de la Colombie-Britannique et personne ne sait quoi que ce soit à son sujet.  Ils avaient le sentiment qu’il avait une attitude arrogante.  Ils ont commencé à écrire beaucoup de choses désobligeantes à propos de lui.  Il n’est jamais devenu plus chaleureux avec la presse et vice versa.  Voilà ce qui s’est passé: une personne a écrit un article négatif et personne n’a enquêté sur la vérité.  Plusieurs journalistes ont fait de même.  Ses blessures étaient réelles.  Cela est très bien documenté par conséquent, cet aspect de sa vie sera définitivement inclus dans le documentaire.  Il existe toujours des personnes vivantes et qui réalisent s’être trompées.  Nous avons aussi des archives de Jerome expliquant que lorsqu’il représentait le Canada, il était seulement âgé de 19 ans.  Il était jeune quand il s’est rendu aux Olympiques.  Il était irréaliste et farfelu de s’attendre à un certain type de comportement et de relation avec la presse à cet âge.  Il était difficile pour lui de faire face à la presse qui le discréditait.

P.T.  Jerome était-il bien entouré?  Avait-il un publiciste, par exemple?

S.J.  Cela n’existait pas à l’époque.  Il n’y avait pas de support au niveau des relations publiques.  C’était un grand défi.  L’athlétisme des années 60 ne se passait pas comme maintenant.  Présentement, n’importe quel sport international a des gens offrant du support aux athlètes.  Il est regrettable que Jerome ait eu à faire face seul aux médias.  Au moment de sa retraite, il est devenu plus mûr.

P.T.  Dans votre documentaire, allons-nous apprendre qui a inspiré Harry Jerome en tant qu’athlète?  S’agissait-il par exemple de Ray Lewis, le premier Noir à avoir gagné une médaille olympique pour le Canada en 1932?

S.J. La seule manière je crois qu’il sera possible d’obtenir cette information est si nous avons des entrevues de lui avant sa mort où il a parlé des gens qui l’ont inspiré.  Je suis sûr que Harry Jerome s’est informé pour savoir qui a représenté dans le passé le Canada et que le nom de Ray Lewis serait définitivement sur la liste.  Je doute toutefois qu’il ait eu une influence directe sur lui.  Il existait définitivement une connexion entre lui et Percy Williams (le triple médaillé d’or olympique).  Ils se connaissaient.  Je sais pertinemment que Jerome l’admirait.  Je suis moins certain de ce qui en est pour Ray Lewis.  Ce dernier était définitivement une personnalité fascinante.  Je lui ai parlé une fois.  Au fait, il a travaillé à un moment donné en tant que portier de wagons-lits durant la Grande Dépression.  Il occupait un emploi pour la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique pendant 22 ans.  Lewis m’a raconté plusieurs histoires intéressantes.  Par exemple, il lui arrivait de changer ses vêtements en mettant ses habits sportifs durant les arrêts pour courir le long de la voie ferrée.  C’est de cette façon qu’il s’entraînait.  Il s’agit d’une histoire fascinante.  Il n’était pas payé pour pratiquer en tant qu’athlète.  Lorsqu’il était libéré de son travail, il s’arrangeait pour avoir du temps afin de s’entraîner.  Son époque était plus difficile, il devait relever davantage de défis.  Par exemple, il était le meilleur coureur de son école et cependant, il n’a pas été sélectionné pour représenter son établissement scolaire.  Il était très articulé, éloquent et très intelligent.  Quand je lui ai parlé, il avait une voix puissante.  Selon mon opinion, son histoire est aussi importante que celle de Harry Jerome.

P.T.  Concernant Harry Jerome, je devine que son entraîneur saurait certainement qui l’a inspiré.

S.J. Oui, définitivement.  C’était notre plan de l’interviewer à ce sujet.  Son entraîneur était John Minichiello.  Nous lui avons parlé et je crois que nous aurons une idée à propos de qui a inspiré Jerome.  John est seulement âgé de quelques années de plus comparativement à Jerome.  Il a eu du plaisir à entraîner.  Je pourrais ajouter que l’athlète Paul Winn qui était un ami de Harry sait probablement qui l’a inspiré.

P.T.  Harry Jerome a porté plusieurs chapeaux dans sa vie.  Quels sont les domaines principaux qui seront couverts dans le documentaire?

S.J.  Le réalisateur portera surtout attention à son rôle en tant qu’athlète entre 1960 et 1968, avant sa retraite.  Il posera un regard sur ses accomplissements, ses blessures et sa relation avec les médias, la manière dont il a pu être de retour (sur la piste) et représenter le Canada lorsque tout le monde pensait que sa carrière était terminée.  Plus de 60% du documentaire concernera son rôle en tant qu’athlète international.  Plus tard, il a commencé à travailler pour le gouvernement fédéral, à se rendre aux écoles en tant qu’orateur de motivation et ainsi de suite.  Il est devenu un modèle dans le domaine de l’athlétisme.  Entre 1968 et 1982, il était important pour lui d’ériger la barre pour les minorités visibles au Canada.  Cette partie de sa vie n’a pas été documentée visuellement par conséquent, nous devrons interviewer des gens à propos de cela.  Cette composante sera montrée via le Harry Jerome Awards.  Cet événement qui célèbre l’excellence est une forme de conjoncture qu’il aurait soutenue s’il était vivant.

P.T.  Pouvez-vous nous dire quelles sont les périodes principales de la vie de Harry Jerome qui seront couvertes dans le documentaire? Par exemple, les auditeurs apprendront-ils des choses sur la dernière partie de la vie de Jerome lorsqu’il avait été invité par l’ancien Premier Ministre Pierre Trudeau à créer le nouveau ministère du sport au Canada?

S.J.  Nous ne ferons pas la chronique de la partie où Jerome a été invité par l’ancien Premier Ministre Trudeau à créer le nouveau ministère du sport.  Il existe tant d’aspects de la vie de Jerome et nous avons dû faire des choix.  Les gens peuvent obtenir davantage d’informations dans le livre “Running Uphill”.  Nous avons décidé que pour le documentaire, nous nous concentrerons sur les années où il était à l’apogée de sa carrière d’athlète entre 1960 et 1968.  Cela donnera plus de précision que si nous traitons de l’entièreté de sa vie.  En tant que cinéaste, nous devons avoir une base et nous avons beaucoup de matériels.  Mais lorsque l’on arrive à l’étape du montage, on n’a pas le choix de se concentrer sur les thèmes principaux.  On doit éviter les répétitions.

P.T.  Vous avez mentionné plus tôt que Harry Jerome s’est battu pour des opportunités équitables en ce qui concerne les minorités.  Jusqu’à quel point le qualifiez-vous d’activiste pour cette raison?

S.J. Harry Jerome était en avance sur son temps.  Il était très sensible à ce qui se passait durant son époque dans la société.  Il existe des gens qui rencontrent un grand succès en tant qu’athlètes et ils resteront dans cette arène.  Jerome s’impliquait au-delà de cela.  Il était intéressé au fait que les gens puissent avoir accès aux emplois et à des opportunités.  Il ne fuyait pas cette responsabilité.  Il reconnaissait qu’il y avait des gens qui étaient traités de façon inique et il a utilisé son statut pour remettre en question cela.  Il s’arrangeait pour que les personnes connaissent ces problématiques et il était un champion pour les droits humains.

P.T.  Il était difficile à l’époque de Jerome d’être un athlète amateur.  Il n’y avait pas de bourses, etc.  Pensez-vous que Harry Jerome est devenu un grand activiste et un pionnier pour faire avancer cette question?  Apprendrons-nous des choses par rapport à cela dans le documentaire?

S.J.  Nous apprendrons des choses à ce sujet dans ses entrevues après sa retraite.  L’une des raisons pour lesquelles il a rencontré du succès en tant qu’athlète était parce qu’il avait été accepté via une bourse provenant des États-Unis afin de se rendre à l’Université d’Oregon.  Cela avait son bon et mauvais côté.  Il devait aller en Oregon et représenter cet état via le NCAA (l’Association nationale d’athlétisme collégial[9]) dans le domaine de l’athlétisme.  Après, il devait retourner au Canada et représenter son pays par le biais des Jeux canadiens, les Jeux panaméricains.  Cela était difficile pour lui parce que même s’il représentait le Canada, le développement de sa carrière d’athlète n’était pas financé.  Par conséquent, ses obligations premières revenaient à l’Université d’Oregon.  Lorsqu’il a pris sa retraite, il a fait des recommandations à propos de ce qui devrait être fait pour améliorer le financement des athlètes canadiens.  Il a parlé de l’importance des bourses.   Plus tard, les universités canadiennes ont commencé à donner des bourses mais ce n’était pas du tout au même niveau qu’aux États-Unis à l’époque.  Je considère Jerome comme un pionnier parce qu’il a essayé d’établir un meilleur système de support pour les athlètes via l’entraînement, etc.  Auparavant, les athlètes n’avaient pas un accès facile à un physiothérapeute, un masseur ou à d’autres professionnels de ce type.  S’il y en avait, seulement l’un parmi eux était présent à l’étranger pour l’équipe canadienne dans son entièreté.  Avec le temps, les choses ont évolué de manière significative.

P.T.  Maintenant, ils ont des médecins, des entraîneurs et d’autres professionnels.

S.J.  Exactement.  Dans le documentaire, nous parlerons du rôle de Jerome en tant que pionnier via des séquences avec lui et son épouse qu’il a rencontrée à l’Université d’Oregon. Ils se trouvaient en même temps aux États-Unis.  Par conséquent, nous aurons des analyses comparatives intéressantes entre le système canadien et américain de cette époque.  Nous allons définitivement couvrir cette perspective (dans le documentaire).

P.T.  Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes gens qui souhaitent devenir cinéaste et producteur?

S.J.  Si vous voulez devenir un cinéaste, je pense que l’on doit suivre sa conviction immanente qui vous dit que c’est ce que vous voulez faire.  On doit être audacieux et assez brave pour réaliser ses objectifs.  En tant que débutant, il faut commencer à faire un court documentaire.  La qualité n’a rien à voir avec la longueur du film.  Cela peut être un film de dix minutes.  Avec un court métrage, il est possible de recevoir du crédit en tant que producteur.  Lorsque j’ai commencé ma carrière en tant que producteur, j’ai dû engager des caméramans, etc.  J’encourage les jeunes à choisir un sujet qui les passionne beaucoup et de faire un court métrage.  Ils doivent se permettre de faire des erreurs à leurs débuts.  Cela se passe de cette façon pour tout le monde, ce ne sera pas parfait.

Concernant les qualités requises en ce qui a trait à la production cinématographique, je peux mentionner aux jeunes que l’obtention d’une éducation est importante.  Cela permettra d’avoir une excellente base.  Le fait que je sois allé à l’université m’a donné l’assurance d’approcher les gens qui avaient un important impact au niveau de la prise de décision concernant le financement de mon film, par exemple.  En tant que producteur, on doit vendre son film.  Par conséquent, je possédais le savoir pour être connaisseur en ce qui a trait à la qualité d’une histoire, l’excellence d’un scénario, etc.  J’ai fréquenté l’université et j’ai aussi une fascination pour l’histoire.  Souvent mes films possèdent une base historique.  Toutefois, ce n’est pas nécessairement tout le monde souhaitant devenir cinéaste qui a besoin d’aimer l’histoire.  Je pense que vous devriez avoir un amour et une passion pour la littérature ou d’autres aspects de l’art.  Beaucoup de personnes dans ce business parlent de la caméra, de la haute définition, etc.  Ils traitent davantage des aspects techniques et des outils.  Je trouve qu’ils ne portent pas assez attention au contenu qui est d’une plus grande importance.  J’essaie de voir d’où je retire mes influences et inspirations.  J’ai découvert que j’aime lire la littérature.  C’est important en tant que cinéaste parce que le contenu a besoin d’être documenté.  Vous nécessitez d’une source qui vous permettra d’établir une relation avec l’auditoire en tant que cinéaste.  Cela peut être à propos de la poésie, de la musique, d’un drame et ainsi de suite.  En tant que producteur vous avez besoin d’une chimie et d’un bon rapport avec les gens qui travaillent avec vous.  Il est nécessaire d’établir un lien avec tous les individus qui décideront de financer le film.  Ils doivent aimer ce que l’on fait et posséder des atouts sociaux est de mise.  Les gens ont besoin de savoir qu’on les traite bien.  Quand on a un bon produit, les gens entendront parler de cela.  Lorsque l’on devient un cinéaste connu et établi, il ne sera pas nécessaire de commercialiser le produit comme avant.  Les gens de l’industrie du film vous approcheront.  Les appels viendront naturellement.  La qualité est la clé.  La relation que vous avez avec les gens est très importante.  Au dénouement, le film devient un reflet de cette relation.  Je veux que les jeunes sachent qu’ils ne devraient pas être découragés s’ils choisissent ce domaine qui n’est pas commun.  Je recommande fortement qu’ils trouvent un mentor ou qu’ils parlent aux gens qui ont travaillé dans cette sphère d’intérêt parce qu’ils sont bien placés pour donner des bons conseils.  Je pense vraiment que les gens devraient suivre leur cœur.  Il est important de se concentrer sur ses objectifs.  On doit savoir ce que l’on veut.  Il faut avoir un esprit ouvert.  En d’autres mots, personne n’a raison en tout temps, il importe d’être ouvert à la critique constructive.  C’est de cette façon que l’on évolue professionnellement.

Merci monsieur Jacob pour nous faire découvrir le vécu de nos héros afro-canadiens et pour garder leurs histoires vivantes!

 

"Le grand Jerome" sera présenté à Montréal au Gesù (le 7 mai 2011 à 16h) dans le cadre du Festival Vues D'Afrique.  Pour voir un extrait du documentaire, allez à:  www.nfb.ca/playlist/mighty-jerome.  Pour acheter des billets, visitez:  www.vuesdafrique.org. La sortie du film aura lieu le 8 mai 2011 au cinéma Parallèle:  www.cinemaparallele.ca.

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Cursus académique de M. Jacob

Baccalauréat en éducation, Université d’Alberta (1970)
Maîtrise dans le domaine cinématographique, Université du Sud de la Californie (1975)

Filmographie 

We Remember Amber Valley (1984)

The Saint from North Battleford (1989)

Carol’s Mirror (1991)

Al Tasmim (1995)

The Road Taken (1996)

John McCrae’s War:  In Flanders Fields (1998)

Yuxweluptun:  Man of Masks (1998)

Jeni LeGon:  Living in a Great Big Way (1999)

Java Jive (1999)

T’Lina:  The Rendering of Wealth (1999)

Nuclear Dynamite (2000)

Between the Laughter (2000)

Britannia:  a Company Town (2000)

Beaverbrook:  The Various Lives of Max Aitken (2000)

When a Child Goes Missing (2000)

Obaachan’s Garden (2001)

Letters from Home (2001)

The Journey of Lesra Martin (2002)

A tribe of One (2003)

From Harling Point (2003)

When Hockey came to Belfast (2004)

My father, My Teacher (2005)

Between the Laughter (version éducative) (2006)

Mighty Jerome (2010)


Quelques prix au Canada et aux États-Unis:


Meilleur prix éducatif, Birmingham pour Carol’s Mirror (1993)

Prix Golden apple, Oakland pour Carol’s Mirror(1993)

Prix Kathleen Shannon et Meilleur Documentaire pour The Road Taken (1997)

Prix The John Ware Lifetime Memorial  pour les Prix The Black Achievement Société d’Alberta (1997)

Premiers award of excellence, pour le travail avec l’Alberta Curriculum Standards Branch (1998)

Le prestigieux prix Gemini pour The Road Taken (1998)

Prix Michael Blaustein Biography pour Jeni LeGon, Pittsburg (1999)

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[1] Mighty Jerome est une production de l’ONF (Office national du film du Canada).  L’Office national du film du Canada a célébré son 70e anniversaire en 2009 avec une salle de projection mise en ligne, une ardoise en caractères gras et des productions innovatrices.  L’ONF produit et distribue des documentaires à thématique sociale, des drames alternatifs et autres.  Les projets ont un contenu qui donne au monde une perspective unique canadienne.  Depuis la fondation de l’ONF en 1939, 13 000 productions ont été créées et 5000 prix ont été gagnés incluant 12 Oscars et plus de 90 prix Génie.  Pour visionner plus de 1000 productions en ligne ou pour plus d’informations, aller à www.onf.ca.

[2] Source:  Running Uphill, Fil Fraser

[3] Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867

[4] Ce nouveau ministère a été créé sous le nom du Ministère fédéral de la Condition physique et du Sport amateur

[5] Le Black Business and Professionals Association

[6] Ce terme doit être pris ici dans son sens large, il concerne entre autres les portiers, les bagagistes travaillant pour les compagnies de chemin de fer

[7] Traduction littérale de  "Jewish Labour Congress"

[8] Traduction littérale:  Le club des femmes de couleur

[9] Traduction littérale de: National Collegiate Athletic Association