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Entrevue Exclusive avec la talentueuse peintre Annie Sène PDF Print E-mail
Written by Patricia Turnier   
Monday, 26 November 2012 18:02

  



 

 




 

Annie Sène est née à Paris pour ensuite vivre en Afrique de l’Ouest, en Guadeloupe, etc. Elle parle plusieurs langues: anglais, créole, français et wolof. Elle est donc un métissage de cultures, française, sénégalaise, guadeloupéenne tout en ayant reçu une richesse de sa famille. Actuellement, elle demeure à Montréal depuis quelques années. Madame Sène se décrit comme une mère et une femme autodidacte dans l’âme.

Son univers créatif a été long et a rencontré des obstacles. Il est arrivé que madame Sène ait eu des remises en question et elle a appris à découvrir les simples choses de son existence. À cet égard, elle a réalisé qu’elle aurait pu dès le départ ouvrir la porte aux bienfaits de l'art plastique, avec une curiosité, un goût d'explorer et de s'enrichir. En 2003, elle a commencé à fréquenter des ateliers en France afin de se retrouver en compagnie d'autres artistes au sein d’une association appelée Quatre-AS. Elle a également participé à des expositions de groupe durant deux ans.

Les commentaires positifs de ses pairs et les échos favorables reçus par son berceau familial l’ont encouragée à poursuivre sa quête artistique en adoptant une démarche professionnelle. Ainsi, une fois établie à Montréal, certains de ses tableaux ont été présentés à la galerie Charles Garo durant neuf mois en 2010. En 2012, madame Sène a commencé à exposer en solo, Chez le Portugais, à Fokus Gallery. D’autres vernissages ont eu lieu tels qu’Haïti Chérie à Montréal.

L’artiste Annie Sène reçoit son public en l’accueillant dans sa différence. Le souffle de cette peintre est "je pense, je crois, je dis, je fais, je vis" ce qui reflète sa devise, sa démarche d'entreprendre ainsi que de réaliser ses projets avec foi et persévérance. Selon madame Sène, nul être ne peut sous-estimer un autre être, car chacun est le complément de l'autre. Son désir consiste à peindre, exposer, faire plaisir et, arriver à en vivre tout en investissant une partie du gain dans ses projets philanthropiques, en contribuant au mieux-être social basé sur le respect des valeurs humaines.

Ses œuvres évoquent la volonté de mieux saisir l'être humain, de l'amener à se confier, de savoir l'écouter, d’amener son art vers l'autre. L'essentiel pour cette peintre est de faire grandir les cœurs de ceux qui regardent ses œuvres, avec patience et continuité en véhiculant le message suivant : "prôner la diversité, car nous sommes tous des morceaux du puzzle universel". Il importe pour Annie Sène d’apprendre à mieux se connaître tout en percevant l'outil qui la conduit au plus profond de son intérieur lui révélant son essence, c’est-à-dire son amour du dessin qu’elle communique entre autres par la couleur. L’art de cette peintre exprime une soif de partager une intimité authentique à l'égard des sujets qu'elle présente avec un grand respect et une délicatesse. Il est fondamental pour elle que l'âme des personnages soit une empreinte gravée de manière indélébile sur la toile. Depuis près de vingt ans, madame Sène peint de façon professionnelle. Elle a maintenant presque 30 œuvres qui sont variées. Cette artiste utilise notamment l’huile, le pastel ou le fusain pour l’ensemble de ses tableaux.

Sa première toile à l'huile a été réalisée en 1993. L’écriture fait partie intégrante de son travail. Il importe pour elle de présenter au public à travers ses toiles: ses mots, ses impressions, son évolution, etc. Madame Sène est réellement douée pour l’écriture qui a une touche poétique. Ceci la démarque et rend son style très original. En sus, cette artiste suit constamment son inspiration pour dépeindre à savoir qu’il lui arrive par exemple de se réveiller la nuit pour prendre son pinceau sur le coup d’une verve. Madame Sène est convaincue que l’art a le potentiel de guérir les maux terrestres car il est le maillon de l’unité humaine. Elle croit que l’argent ne sera plus la racine de tous les maux lorsque le langage de générosité, de partage et de découverte des êtres prévaudra. Dr. Martin Luther King, Gandhi, Bob Marley et Nelson Mandela représentent les philanthropes qu’elle admire. « Ces hommes parmi tant d’autres ont su avec leurs mots vouloir dénoncer les maux de la terre et, avoir le vœu de guérison pour tous les êtres dans toutes les nations » a-t-elle déclaré aux médias.
Annie Sème est aussi la gérante de sa sœur, la chanteuse Senaya depuis quelques années. Elle est une entrepreneuse dans l'âme, une visionnaire en action, malgré les hauts risques que cette initiative comporte, pour réaliser ses objectifs.

Notre webmag Méga Diversité est allé à la rencontre de madame Sène l’été dernier à Kitweb sur la rue St-Hubert à Montréal où l’ensemble de ses toiles étaient exposées. Des beaux textes poétiques à vous couper le souffle rédigés par madame Sène accompagnaient ses œuvres.

Madame Sène est une femme brillante et intéressante à qui on a envie de parler pendant des heures. Chers lecteurs, les toiles que vous verrez ci-dessous sont encore plus belles en réalité. En d’autres mots, il faut les voir de près pour les admirer davantage.


                                                                                             Annie Sène à l'œuvre


P.T. Si vous devez vous présenter aux lecteurs, que leur diriez-vous?

A.S. Je commencerais par dire que j’ai vu le jour en France en présence de mes parents que je chéris énormément. Mon père est originaire du Sénégal et ma mère vient de la Guadeloupe. J’ai visité ces pays qui m’ont forgée et m’ont donné une capacité à valoriser mon chemin de vie. Je suis une autodidacte qui va de l’avant pour accomplir mes rêves en tant que peintre entre autres. Je suis aussi une mère, la sœur et gérante de Senaya que j’accompagne vers l’accomplissement de ses rêves en tant que chanteuse, autrice et compositrice. Je traduis son désir de se surpasser à travers la réalisation de ses projets. J’apporte ma vision et mon âme d’entrepreneuse. Il est important à travers ce que j’entreprends, de dénoncer les diverses injustices. Ma peinture représente l’un des moyens que j’utilise. Je crois que l’on peut vivre dans la paix, l’amour et le partage. Ce sont ces valeurs qui nous font avancer et je tente de contribuer à cela avec les moyens qui sont à ma disposition.

Pour en arriver là, j'ai emprunté divers chemins: la voie de la gestion financière en exerçant autrefois le métier de gestionnaire de clientèle pour ensuite faire de la gérance d’artistes. Je me décris définitivement comme une visionnaire entrepreneuse tout en manœuvrant avec l’ensemble des éléments de la vie qui ont fait de moi, ce que j'ai décidé de devenir une peintre éprise d’amour et de justice. Je rêve d’un monde où l’indifférence serait inexistante.

P.T. Depuis quand et comment votre passion pour la peinture s’est développée? Avez-vous eu un mentor?

A.S. Ma passion a naturellement pris naissance depuis mon enfance et tout a commencé en France. J’aime peindre ce qui me touche, c’est ce qui m’inspire. J’offrais des cadeaux à mes parents et aux autres membres de ma famille en dessinant. L’art m’a permis de m’évader. Au fait, je dessinais toujours en écrivant des poèmes. J’étais réellement intéressée à l’école par l’art plastique. J’avais souvent de très bonnes notes sans faire beaucoup d’efforts. C’était vraiment naturel pour moi. En étant plus vieille, j’ai fréquenté des ateliers de groupe d’artistes à partir de 2003 à Montmartre et je me rendais souvent à l’association Quatre-AS. J’ai participé à des expositions de groupe pendant deux ans. Ceci m’a permis de m’inspirer des travaux de mes pairs et ces artistes m’ont fait découvrir que je m’intéressais davantage aux portraits. Mes sujets ont ainsi pris forme. J’ai souvent échangé nos différentes pratiques utilisées avec les autres peintres ce qui a été très enrichissant. J’ai réalisé ainsi que j’aimais utiliser le pastel. J’ai appris à maîtriser le fusain. Par contre, j’avoue avoir une préférence pour l’huile.

Les peintres m’ont donc encouragée à poursuivre mes activités artistiques. Cependant, à l’époque, je ne pouvais m’y consacrer entièrement parce que je travaillais. J’ai commencé à exposer chez moi et c’est ici à Montréal que j’ai peint davantage. J’ai présenté mes œuvres au public à divers vernissages. Je me suis présentée à la galerie Garo appartenant au néo-impressionniste Charles Garo. J’ai présenté mon portfolio à sa sœur Rose Garo et cela lui a plu. Un contrat a été signé et on a exposé mes œuvres pendant neuf mois. J’ai fait ensuite ma première exposition en solo cette année.

P.T. Quel(le)s peintres admirez-vous et pourquoi? Au fait, vous venez de nommer Charles Garo. Est-ce qu’il y en a d’autres?

A.S. J’aime le peintre congolais Kamba Sita. La façon dont il mélange les huiles et les acryliques dans ses œuvres me plaît. Les couleurs qu’il utilise sont captivantes. La peintre Nikki Elisé de la Guadeloupe est vraiment intéressante dans sa vision du monde qu’elle représente à travers ses œuvres avec ses points de vue esthétique et sociétal. Elle dépeint avec une richesse son archipel, la Guadeloupe via son histoire et sa culture. J’aime la sensibilité et la profondeur d’Elisé. Dans son art, elle met particulièrement l’accent sur la danse et l’aspect magico-religieux.

Les peintres passionnés et délicats tels que le Français Jean-Honoré Fragonard – La liseuse qui dégage une grâce. Je l’ai d’ailleurs reproduite et offerte à ma mère. Paul Gauguin – Vahine no te Vi me plaît ainsi que l’autoportrait de Van-Gogh Vincent. Il y a évidemment le fameux Léonard de Vinci plus particulièrement -- Sainte-Anne et La Joconde que je peux nommer. J’apprécie beaucoup les œuvres de Frida Kahlo notamment son autoportrait. Je suis fascinée par la résilience de cette femme. Elle avait des problèmes sérieux de santé qui étaient chroniques. Malgré cela, elle avait une grande force pour peindre. Je n’ai jamais saisi comment elle puisait cette énergie. J’aime les couleurs vives qu’elle utilisait. Il est vraiment impressionnant qu’elle ait réussi son autoportrait. La peintre française Bangor m’inspire également. Ses peintures de la ville de Coutances suite aux combats de 1944 représentent un précieux témoignage pour les historiens.

J’affectionne beaucoup le peintre français Paul Gauguin qui s’est retrouvé en Polynésie. J’aime ses œuvres qui ont été inspirées par la culture de Tahiti. Il offre de belles représentations des femmes tahitiennes. Les couleurs utilisées dans ses toiles sont expressives. J’ai une prédilection pour Mawa Sène du Sénégal qui utilise le cubisme. Il ne faut pas oublier que l’art africain a sauvé l’art occidental.

P.T. À titre d’exemple, Picasso s’est inspiré du cubisme.

A.S. Tout à fait! Picasso a découvert le cubisme avec la statuette négro africaine. Ses figures colorées en blanc avec un fond noir m’ont toujours impressionnée car cela rehausse les visages. Toutes ces rencontres ont alimenté mon être depuis mon enfance mis à part la musique, mon autre passion.

P.T. Dès vos débuts, avez-vous eu le soutien de votre entourage (pour la peinture) ou ce dernier avait-il plutôt tendance à privilégier surtout l’orientation vers une profession libérale considérée comme un avenir assuré?

A.S. Il est toujours délicat d’aborder le sujet de l’art comme carrière parce que l’on se fera souvent dire qu’on ne gagnera pas grand-chose. Dans mon cas, j’ai commencé à travailler tôt et j’ai gravi rapidement les échelons d’une société française. J’occupais la fonction de gestionnaire de clientèle. Durant cette période, j’ai dû mettre de côté la peinture. Avant de me retrouver au sein de cette entreprise, j’avais occupé d’autres postes: employée de bureau et attachée commerciale dans la région parisienne. À un moment donné, j’ai constaté que je n’avançais pas tel que je le souhaitais et je commençais à m’ennuyer car je n’avais plus de défis intéressants à relever. Lorsque cela m’arrive, je bouge parce que je refuse de m’enterrer. Il importait pour moi de préserver l’équilibre de mes sens et de mes valeurs humaines. Effectivement, j’avais la sécurité d’emploi avec tous les bénéfices qui viennent avec mais je voulais autre chose dans ma vie professionnelle.

J’ai utilisé ces expériences acquises à ces entreprises pour devenir entrepreneuse, une idée qui m’habitait depuis mon adolescence. Ce n’était pas réaliste à l’époque car les banques sont timorées pour faire des prêts à des gens si jeunes même si on présente un plan d’affaires en bêton. On aura plutôt tendance à mettre leurs dossiers de côté pour en privilégier d’autres. Je n’ai pas baissé les bras et même si j’ai mis temporairement ce rêve en veilleuse, je ne l’ai jamais abandonné. Tant que le cœur bat, les possibilités existent pour mettre nos plans à exécution. On doit croire que l’on trouvera toujours des gens sur notre chemin pour nous aider à avancer en nous aiguillant.

P.T. Vous avez des origines du Sénégal, de la Guadeloupe et de l’Inde. Pouvez-vous nous décrire les spécificités de la peinture pour ces pays?

A.S. En Guadeloupe, on représente souvent la nature, les fleurs particulièrement les roses, les tambours et les arts culinaires. Les médiums utilisés sont la peinture à l’huile, à l’aquarelle et l’acrylique. La peinture de la Guadeloupe est également moderne parce qu’elle emploie les nouvelles technologies et fait appel à l’abstraction. En Afrique dont le Sénégal, on utilise particulièrement la terre rouge et les plantes. Toujours au Sénégal, on verra des tableaux représentant des villages, des cases africaines en pagne, des maisons avec des toits de chaume. On a aussi des écritures picturales souvent représentées sous la forme d’hiéroglyphes se rapportant aux symboles égyptiens. Le côté folklorique est aussi présent dans la peinture africaine. On voit des griots, Kirikou1, des marabouts. Dans l’art africain, la société est souvent reproduite. On retrouvera par exemple des paysans, des femmes travaillant avec leurs pilons pour le blé. On voit aussi des masques, des plages, les pêcheurs avec leurs nappes. On assiste vraiment à une diversité.

L’Inde est représentée par le maître yogi avec toute sa sagesse et spiritualité. Souvent la déesse Krishna est peinte puisqu’il s’agit de la divinité la plus vénérée en Inde. Elle évoque la métamorphose, la transcendance et la guérison. On retrouve aussi un lien compatible avec les animaux et les êtres dans l’art indien. On observe des temples également avec la représentation de Bouddha. L’huile est très utilisée en Inde. Je ne connais pas encore ce pays. Cela fait partie de mes projets de le découvrir. Au fait, j’ai plusieurs projets et on dit qu’on n’aura jamais suffisamment de vies pour faire tout ce que l’on compte entreprendre.

P.T. Comment vous vous caractérisez en tant que peintre? Faites-vous de l’art naturaliste, figurative et/ou abstraite? De plus, quels sont vos principaux thèmes?

A.S. Ma peinture a un style réaliste avec le désir de rechercher l’âme de l’être dans toute sa splendeur tout en respectant ses traits. La plupart de mes toiles parlent d’êtres attachants et délicats, d’amour, d’émotions et de souffrance dans toutes leurs diversités puisque nous sommes un ensemble de morceaux du casse-tête universel. Le caractère abstrait se situe au niveau de ce que mes personnages dégagent en ce qui a trait à leurs regards par exemple, où le public les verront comme des êtres forts, résilients ou vulnérables. Au fait, j’accorde beaucoup d’importance au regard dans mes portraits. Il doit toujours communiquer quelque chose, il peut s’agir par exemple d’un regard perçant, énigmatique et ainsi de suite.

J’ai une affection pour le portrait et le nu, où l’on observe une expression, une émotion ou une spontanéité. Mon inspiration se situe notamment au niveau de la nature humaine, la sincérité et la justice. Il importe pour moi en tant qu’artiste de communiquer sans artifice tout en véhiculant un message qui s’adresse à tout philanthrope qui éprouve un plaisir à observer ses semblables.

La plupart de mes tableaux sont à l’huile, certains sont au pastel. Mes thèmes fétiches sont les femmes fortes (quel que soit leur âge) prêtes à protéger leurs enfants contre vents et marées. Il m’est arrivé de peindre également des animaux. Je m’oriente généralement plutôt vers tout ce qui est figuratif parce que j’aime dessiner les traits des gens ainsi que dépeindre leurs émotions et leurs regards tel que mentionné précédemment. Cela représente la vie et la toile devient une âme. J’attache beaucoup d’importance à l’essence de l’être humain et je tiens à la respecter à travers mes toiles. Quand je les expose, je souhaite que les gens qui viennent partagent leurs impressions. J’utilise aussi l’écriture pour exprimer ce que mes toiles évoquent en rédigeant des poèmes pour mes visiteurs. Concernant encore une fois l’abstrait, il m’arrive d’en faire mais à des occasions plus particulières. Par exemple, je peux peindre sous cette forme si j’ai gardé en mémoire quelque chose qui m’a frappée. Il importe pour moi de représenter le plus possible ce qui est beau dans la vie.

P.T. Vous ne voulez pas tomber dans le misérabilisme.

A.S. Tout à fait! La lumière est toujours présente dans les yeux de mes personnages même s’ils ont eu un vécu difficile pour certains parce que la vie est plus forte que tout. J’aiguille mon quotidien avec cette conception de la vie et à travers mes toiles.

Au risque de me répéter, les principaux thèmes de mes tableaux se rapportent à l’amour, la justice et la paix. On retrouve aussi la transcendance, l’universalité mondiale, l’unicité de l’être humain, la réconciliation avec soi et le respect en l’être humain. La douceur est très présente dans mes œuvres. Plusieurs tableaux expriment la profondeur et les sens que nous possédons. On n’est pas obligé de parler, un regard peut dire beaucoup de choses de même qu’un souffle, une écoute et le toucher peuvent faire naître une communion avec l’être.

L’authenticité est importante pour moi. Le but est d’être en harmonie avec soi-même. Même si tout le monde va à gauche, ce n’est pas grave d’aller à contre-courant. Je ne suis donc pas une formule particulière dans mon art. Je mets en avant les couleurs. La vie est colorée ce qui fait sa beauté.

En résumé, les thèmes que je chéris sont: la famille, la spiritualité, le droit au bonheur, l'harmonie, le partage, et la résistance envers tout qui va à l'encontre de la dignité humaine. En somme, j’affectionne la célébration de tout ce qui est la vie!

P.T. Vous avez fait un beau portrait de Waris Dirie. Ce top-modèle représente quoi pour vous? En d’autres mots, pourquoi était-ce important de la portraiturer?

A.S. Au départ, lorsque je l’ai fait, elle m’a beaucoup touchée. Elle m’a fait ressentir beaucoup d’émotions surtout de la peine par rapport à sa lutte. On a essayé d’aspirer tout ce qu’elle avait notamment en lui faisant subir la mutilation génitale. On a voulu l’anéantir à l’âge de 5 ans. Je me suis reconnue en elle c’est-à-dire que la vie n’a pas été facile pour moi. Ses combats m’ont parlé. J’ai connu certaines souffrances et guérisons. Ce qui m’a permis de dépasser mes difficultés a été la foi que j’ai intégrée dans ma vie. J’avais l’esprit de révolte et je suis partie jeune de la maison comme Waris Dirie qui s’est retrouvée seule dans le désert à l’âge de 13 ans. À un très jeune âge, je savais ce que je voulais de la vie. Cela a toujours été en moi de ne pas me laisser faire mais maintenant j’utilise différemment mon esprit de combat. C’est ainsi que mon regard s’est porté sur Dirie. J’ai eu le désir de la peindre et sur la toile j’ai calqué mes sentiments personnels. J’ai donc fait un mélange de ce qui est en moi et de ce qu’elle a. J’ai voulu mettre de la lumière dans son regard qui est noir et brillant. Ma toile faite à l’huile dépeint sa souffrance mais aussi sa force et sa résilience. Onze plus tard, j’ai décidé de repeindre la même toile et j’ignore pourquoi parce que j’aurais pu peindre autre chose. Sur la deuxième toile bien que ce soit la même à la base, je vois Dirie comme étant déterminée, épanouie et c’est ce qu’elle est devenue. Je me suis reconnue encore une fois. Tout est possible dans la vie et il importe d’avancer. Je l’ai encore plus aimée parce qu’elle respirait la vie. J’ai été beaucoup touchée par son combat contre la violence envers les femmes. Mis à part sa lutte contre la mutilation génitale chez les femmes, elle milite pour les sans-papier, etc. J’ai un grand respect pour elle. Il s’agit d’une femme qui aime la vie. Il n’y a pas d’horizons ni de limites pour elle. Dirie est prête à aller jusqu’au bout de son combat. Pour finir, j’aimerais préciser que Waris Dirie a été mon premier tableau en 1993.

P.T. Incroyable! J’ignorais cela.

A.S. Vous êtes vraiment intuitive pour avoir choisi que je parle de ce portrait pour cette entrevue [rires].

P.T. J’ai choisi une autre de vos œuvres intitulée Tendre douceur qui me plaît beaucoup. Pouvez-vous nous la décrire?

A.S. Ce tableau traduit la sensibilité, la douceur et à la fois la timidité d’une fillette. L’être que j’ai dépeint est précoce. Il s’agit de ma fille.

P.T. C’est invraisemblable! Il s’agit d’une autre chose que j’ignorais.

A.S. Encore une fois, vous êtes vraiment intuitive pour avoir choisi que j’en parle [rires].

P.T. Je me demandais même en mon for intérieur comment se fait-il qu’elle n’a pas peint sa fille.

A.S. Eh bien, c’est elle! [rires].

P.T. Parmi tous les tableaux que vous avez peints, j’ai choisi celui-là pour notre entrevue. Sans le savoir j’ai dû ressentir l’amour d’une mère à travers cette toile.

A.S. Tout à fait! C’est comme si tout est à sa place sans effort. C’est un langage qui va au-delà des mots. C’est hallucinant comment ce tableau a attiré votre attention sans savoir qu’il s’agissait de ma fille. Vous avez l’œil. C’est vraiment spécial.

P.T. Vos tableaux sont plus beaux lorsqu’on les voit de près que sur les photos.

A.S. Merci! Je préfère qu’ils soient davantage beaux dans la réalité que sur les photos [rires].

A.S. J’ai pris en photo ma fille lorsqu’on était en Guadeloupe durant plusieurs mois. Je trouvais qu’il était important pour elle de connaître les fleurs, le paysage tout en se nourrissant de la terre guadeloupéenne. J’ai cueilli des fleurs que je lui ai données et je l’ai photographiée. J’ignorais à ce moment que j’utiliserais cette photo plus tard pour en faire une toile au pastel. Le beau rouge flamboyant évoque son envie de vivre. J’ai beaucoup travaillé son regard perçant.

J’ai utilisé le pastel pour dépeindre ma fille parce que je voulais employer des couleurs légères. Ma peinture est ma façon de lui communiquer que je la suivrai et que je la verrai grandir tout en faisant toujours mon possible pour être à ses côtés. J’ai parlé de sa timidité auparavant. Cela s’est estompé au cours des années, ma fille a pris davantage d’assurance. Elle a par contre une tendresse qu’elle n’affiche pas. Elle est plutôt discrète.

P.T. Dès que j’ai vu la toile, j’ai senti qu’en tant que peintre vous communiquiez une émotion spéciale et maintenant je peux mettre des mots sur ce que c’était: l’amour que vous éprouvez pour votre fille.

A.S. Je l’ai aussi peinte plus tard dans sa vie.  Le titre du tableau est Source Prime que l'on voit à gauche.

P.T. Vous avez commencé à présenter vos œuvres en 2003 en France. Quelle fut la réaction du public pour vos expositions jusqu’à présent et quel bilan faites-vous de vos vernissages?

A.S.  Lorsque j’ai exposé en 2003, deux tableaux ont été particulièrement présentés. Le premier intitulé Beauté, majestueuse silhouette était une noire nue dépeinte de façon très féminine. Les gens ont beaucoup apprécié les formes de son corps ainsi que la féminité qui s’y dégageait. Ce tableau est en pastel. Les gens m’ont encouragée à continuer à peindre.

Le deuxième tableau Ma chance puissante, mon amour du désir était un couple. J’avais aussi utilisé le pastel pour le dépeindre. Le public a vraiment aimé cette fusion amoureuse puisque l'on sent l’union des deux âmes. Les gens m’ont communiqué avoir apprécié sur la toile le respect des traits des visages avec les expressions du langage corporel. On a pu percevoir notamment l’attachement et la chaleur.

Concernant le bilan de mes vernissages que je peux faire, je suis ravie. En d’autres mots, il s’agit pour moi d’un bilan de satisfaction. Ces aventures ont débouché sur la vente de quelques tableaux, des encouragements faits par mes connaissances. Toutes ces attentions me donnent des ailes et favorisent mon acceptation dans le milieu culturel.

Ces évènements ont évidemment contribué à me donner de la visibilité en participant à plusieurs expositions collectives, comme la galerie KAF'ART, la galerie Focus, le vernissage ici à Kitweb (sur St-Hubert), le vernissage au Portugais.  Tout ceci m'a donné l'occasion d'acquérir une plus grande crédibilité face aux organismes culturels contribuant à l'essor des artistes. À plusieurs reprises une médiatisation a été faite par la station de radio culturelle – CIBL. De plus, des photographes ont publicisé quelques-unes de mes œuvres:   Monsieur Luc BELCOURT, Madame KADJI, Monsieur Pierre ETHIER et Monsieur Viateur BOUTOT. Compte tenu de la progression de ma démarche artistique, des vernissages cumulés, des contacts élargis avec le public, il m'a paru nécessaire d'avoir un site web pour favoriser la mise en marché de mes œuvres.

Ces différentes expériences m'encouragent à progresser et mon désir de poursuivre mes démarches artistiques croît. J’ai apprécié avoir l’opportunité d’échanger de manière enrichissante avec le public et les autres artistes. Cela m’a aussi permis de me développer davantage professionnellement.  Je suis intéressée à participer à d’autres vernissages. Je veux aussi voir d’autres expositions et discuter avec des nouveaux artistes tout en consolidant mes relations parce que cela ne fera qu’enrichir mon parcours. Je souhaite également voyager et aller à la découverte de ce qui se fait ailleurs. Je tiens à vivre tout cela intensément.

De façon générale, j’éprouve donc un immense plaisir de voir les invités conquis. Je constate qu'entre hier et aujourd'hui, ma profondeur et mes émotions sont toujours au rendez-vous, et que j'ai toujours l'oreille attentive aux observations, critiques ainsi qu'aux conseils. Je suis aussi consciente de l'effet positif que dégagent les vibrations de mes toiles.

P.T. J’ai observé que ce sont surtout les femmes peintres dans la culture afro-antillaise qui font des portraits reliés à la nudité féminine. L’explication principale qu’on m’a donnée est le fait que les hommes de notre culture associe la femme à la maternité en d’autres mots comme un être sacré. Pour cette raison, ils ne font pas ce type d’art. Qu’en pensez-vous?

A.S. Je trouve que cela a beaucoup évolué. En ce moment, il existe des peintres masculins qui osent mettre en avant la nudité de l’Afro-Antillaise. Cela se fait toujours avec respect tout en présentant sa sensualité et sa grâce. On la montre souvent de manière coquette et élégante avec des bijoux. Elle est vivante particulièrement avec les couleurs. On voit souvent comme couleur celle du safran ainsi que le rouge piment, la couleur ocre et le bronze. Tout cela représente la beauté noire. Cette image d’émancipation est véhiculée par l’ensemble des tableaux. Il arrive aussi qu’on dépeigne la souffrance féminine.

La femme est toujours précieuse à leurs yeux. Elle est respectée et vénérée. Elle est peinte de manière emblématique. Elle représente l’enfantement, la maternité et la responsabilité. Sans la mère, il n’y a plus de traces. Notre culture est devenue matriarcale.

Je connais un peintre camerounais, Kimba Sita. Il peint les femmes avec une touche délicate. On sent qu’il aime la féminité parce qu’il la met en avant. Il dépeint la douceur, la beauté dans le tracé, la sensualité des lèvres et la poitrine est mise en valeur.

P.T. La plupart des peintres connus sont des hommes. Historiquement, pour la femme, il a été plus difficile de se faire un nom en tant qu’artiste. À titre d’exemple, il a fallu que l’an dernier je me rende à Boston au John F. Kennedy Presidential Library and Museum pour découvrir que l’ancienne Première Dame Jackie Kennedy avait un grand talent pour la peinture. Que faut-il faire pour que les femmes soient davantage reconnues dans ce domaine?

A.S. Elles doivent oser et être confiantes à exposer leurs œuvres. Il faut évidemment être passionnées, savoir frapper aux bonnes portes. L’existence de ces femmes peintres doit être mise en avant au sein de n’importe quelle société. La femme a ses désirs et ses talents. Elle doit être capable d’évoluer comme elle l’entend. Il faut que les barrières artificielles dressées sur son chemin tombent et il appartient à tout le monde de le faire. Le genre féminin ne peut être négligé dans l’art visuel. Il n’y aurait pas d’existence sans les femmes. On ne peut occulter cela en mettant la femme en filigrane. Le genre féminin est capable d’exceller dans le domaine de l’art visuel et d’être reconnu autant dans sa culture qu’à l’étranger.

P.T. J’ai trouvé intéressant que vous ayez nommé Frida Kahlo plus tôt parce que cela lui a pris du temps pour être connue, son mari l’était bien avant elle. Frida Kahlo soutenait son époux dans sa démarche artistique.

A.S. Définitivement! Frida Kahlo et Jackie Kennedy ont été mises au second plan par rapport à leurs maris. Il s’agit d’une forme de pouvoir, de domination et de non-reconnaissance. Aucun genre ne doit être soumis. Tout le monde devrait pouvoir se réaliser et être reconnu. Jackie Kennedy aurait pu être une peintre mondialement reconnue pour ses œuvres. Pour moi, l’amour dans un couple est de faire en sorte que l’autre puisse s’épanouir et exceller. Certains hommes croient qu’il est dans leurs intérêts d’emprisonner leurs femmes au sens figuré et au sens propre [rires]. Cela ne doit plus exister! Il ne faut pas fonctionner selon le miroir de l’autre. Ce piège est à éviter.

P.T. Quels sont vos futurs projets en tant qu’artiste?

A.S. Je souhaite continuer à être encouragée et vue à travers mes œuvres. Je tiens à garder ma curiosité, mon goût d’explorer et de m’enrichir d’idées créatives. Je veux continuer à apprendre de mes pairs dans mon domaine. Je tiens toujours à poursuivre mon travail avec l’optique de défendre les valeurs humaines. Je veux aller entre autres à la rencontre des enfants pour les inspirer. Mes œuvres parlent de la vie, de l’espoir et de l’union des êtres; c’est ce que je souhaite partager avec le public. J’ai aussi actuellement d’autres projets d’exposition en cours.

P.T. Quels conseils avez-vous pour les jeunes qui souhaitent suivre votre voie en tant que peintre?

A.S. Il faut croire en ses habiletés parce que l’on rencontrera toujours des gens qui essaieront de nous décourager. Par exemple, on avait dit à Charles Aznavour durant ses débuts qu’il n’avait pas de voix! Et pourtant, il est devenu une grande célébrité.

P.T. À long terme!

A.S. Tout à fait, il n’est pas du tout donné à tout le monde d’accomplir cela. Il est tenace et je crois que cette qualité est très importante pour les gens qui souhaitent réussir quel que soit le domaine. Je pense aussi qu’il faut apporter de la nouveauté pour se démarquer des autres. Plus précisément en tant que peintre, il peut être utile de privilégier les contacts avec les muséologues, les curateurs ainsi que les autres faisant partie du domaine artistique au niveau local et international. Pour faciliter et encourager le développement des peintres il importe au niveau macroéconomique d’avoir davantage de subventions.

P.T. Vous êtes la sœur et la gérante de la très talentueuse Senaya. Très peu de femmes sont gérantes dans le domaine du divertissement. Qu’est-ce qui vous a inspiré à adopter ce métier?

A.S. Être entrepreneuse implique d’aimer prendre des risques et de donner beaucoup de sa personne. En tant que gérante, il faut surtout avoir la foi en l’artiste. On doit être déterminé. À 90% je connaissais le produit Senaya. Dès le départ, j’ai évalué la capacité de projeter son avenir. En d’autres mots, j’ai eu à créer un plan à long terme pour sa carrière pour que ce soit très clair. Il ne faut pas faire les choses à moitié. Les négociations et les contacts sont naturels pour moi, alors je me voyais tout à fait occuper cette fonction et le domaine de la musique me passionne.

P.T. Quels sont les obstacles à éviter en tant que gérante et quels conseils avez-vous pour les femmes souhaitant suivre ce chemin?

A.S.  Il ne faut pas se laisser influencer de manière négative et on doit garder le focus. Il importe de totalement croire en son produit. On est comme un coach, il faut régulièrement donner des bons 

conseils à l’artiste pour qu’il aille de l’avant. En d’autres mots, on doit le soutenir. Il importe d’avoir la faculté de visualiser le futur de l’artiste qu’on représente en mettant sur pied un plan d’action très clair avec des objectifs à court, moyen et long terme. En bref, on ne peut pas se laisser impressionner et il ne faut pas déroger des buts que l’on s’est fixés. On doit aussi savoir vendre son artiste en prenant notamment les moyens pour élargir le réseau de contacts.

Tout individu doit prendre connaissance de ses dons parce que cela permet de gagner du temps (au niveau de la formation et ainsi de suite) et d’éviter des écarts ou dérapages dans nos vies. Il faut être entouré des bonnes personnes qui nous mettront sur le droit chemin. La quantité n’est pas importante c’est la qualité qui prévaut. Le mentorat est aussi primordial pour bien aiguiller et soutenir la personne. Le mentor doit être respecté tout en reconnaissant sa contribution. Je ne crois pas au succès individuel. Il y a toujours au moins une personne dans notre vie qui nous a permis de cheminer. Les femmes doivent avoir davantage la possibilité de pouvoir s’exprimer à travers leur art en leur accordant un espace.

P.T. Merci madame Sène pour cette riche entrevue.

A.S. J’ai vraiment aimé la profondeur, l’intelligence et la perspicacité de vos questions. C’était une rencontre très enrichissante.

 

   

  D'autres œuvres d'Annie Sène:


  Sois tranquille mon amour, je veille sur toi

 

                                  Mon précieux amour


                              Beauté majestueuse

 

         Vivre en plein air

 

                                  Vivre libre son univers

 

                                               Dangereuse présence

 

 

                                       Tendre douceur


                                           Mousse blanche

 

Annie Sène vous invite à visiter l’espace d’exposition Corail Bleu Voyages Exotiques
au 6293 Rue Saint-Hubert, Montréal, dans le cadre d’une exposition solo thématique “Âmes”.
Elle y exposera , entre autres, son œuvre «Lavoie de l’Aura”.
Le vernissage aura lieu le vendredi 10 mai 2013 de 17H00 à 19H00.
L’exposition se tiendra du 2 au 31 mai.

Corail Bleu Voyages Exotiques
6293 Rue Saint-Hubert, Montréal, QC H2S 2L9
Tél.:(514) 284-3793
Métro Beaubien

Heures d’ouverture
Lundi au vendredi de 10h00 à 18h00
Samedi 10h00 à 15h00

Vous pouvez contacter Annie Sène à [email protected]

Sa page Facebook: http://www.facebook.com/AnnieSene

Son site officiel:  www.anniesene.com

Vous pouvez aussi communiquer avec son agent : M. Alvaro Pacheco. Son courriel: This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it .

Les œuvres de madame Sène ont été exposées l’été dernier à Kitweb (www.kitweb.ca) situé au 6334 rue Saint-Hubert, Montréal. QC H2S 2M2 CANADA. L’exposition a commencé le vendredi 29 juin 2012 jusqu’au mardi 31 juillet 2012. Le vernissage a eu lieu le vendredi 29 juin 2012.

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1 Il s’agit d’un personnage de fiction créé par l’animateur français Michel Ocelot.  Il est question plus précisément d’un enfant noir vivant dans un village africain imaginaire.  Cet enfant est d’une grande bonté et d’une intelligence impressionnante.  Ces qualités lui permettent d’apporter des bienfaits aux habitants de son village.