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Entretien exclusif avec Marjorie Michel PDF Print E-mail
Written by Patricia Turnier   
Monday, 05 July 2010 20:12

 

Marjorie Michel est une femme d’origine haïtienne.   Elle a fait ses   études collégiales à Montréal où elle a obtenu un DEC en sciences de la santé.  Suite à cela, elle a étudié à l’Université de Louvain en Belgique où elle a décroché une maîtrise en psychologie sociale, du travail et des organisations.  De 2006 à 2007, madame Michel a occupé la fonction de conseillère en relations interculturelles pour l’entreprise Perspective carrière, spécialisée dans la gestion du capital humain.  Cette société est à l’avant-garde de la gestion de la diversité.  Madame Michel a offert dans cette entreprise des services et des conseils aux gens visant une transition de carrière ou qui sont en recherche d’emploi (par exemple, chez les nouveaux arrivants).  De 2008 à 2009, madame Michel a été conseillère en développement des affaires et en gestion de la diversité pour Perspective carrière.  Madame Michel détient une grande expérience dans le champ de la formation et du conseil d’entreprise.  Elle a aussi mis sur pied plusieurs projets concernant les femmes et les jeunes. En sus, depuis 2007 elle est membre du RFAQ1 et de la cellule VIA2 (Valeurs-Intégrité-Amitié).  Elle est également coordonnatrice-adjointe du Groupe Mosaïque touchant les questions liées à la diversité culturelle et intergénérationnelle. Depuis le printemps 2009, madame Michel est l’attachée politique du député de Viau Emmanuel Dubourg.  Nous avons rencontré madame Michel (le 10 décembre 2009 à son bureau) qui a partagé avec nous notamment son parcours professionnel.  Propos recueillis par la rédactrice en chef Patricia Turnier, détentrice d’une maîtrise en droit, LL.M. 

 

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P.T.  Que souhaitez-vous livrer aux lecteurs pour vous présenter ?

M.M. Je me définis beaucoup par mon nom.  Je suis une femme âgée de 46 ans et mère de deux filles dont je suis très fière.  Je me décris comme une personne passionnée et pleine d’énergie.  Je crois qu’en général, les gens passionnés sont intenses.  J’ajouterais que je suis une femme aimant relever des défis collectifs où je m’associe à diverses causes.  J’estime que tous ces paramètres me définissent avec précision.

P.T.  Votre passion pour la diversité et des réalités Nord-Sud date-t-elle depuis votre enfance ?


M.M. Je ne peux affirmer clairement si cela date depuis mon enfance.  Cependant, de par l’éducation que j’ai reçue, j’ai toujours été amenée à m’intéresser à ces réalités.  La sensibilisation sociale m’a été inculquée par mes parents de manière constante.  Il importait pour moi de savoir où je me situais dans la réalité Nord-Sud.  Je me questionnais sur ma place et sur mon apport afin de faire une différence.  Ces réflexions ont été très importantes pour moi et ce, depuis longtemps.

Je ne suis pas née dans une famille pauvre mais je suis issue d’un pays pauvre par conséquent, je vivais quand même le déchirement Nord-Sud.  J’ai découvert les grandes notions de diversité en Haïti.  A cet égard, ma passion concernant les concepts de pluralisme a pris naissance en Haïti.  Dans ce pays, on retrouve par exemple des Arabes, des citoyens de descendance polonaise se retrouvant à Fonds-des-Blancs3.  Au fait, il n’existe nulle part dans le monde une population 100% homogène.  La diversité va au-delà des différentes ethnies, elle concerne aussi les classes sociales.  Ainsi, durant mes vacances de jeunesse, je me rendais à la campagne afin de visiter les paysans (provenant du Nord de la région de l’Artibonite4) qui étaient les clients pour l’entreprise de mon père (occupant la fonction de commerçant).  Cela m’a permis de créer des liens avec des gens extraordinaires.  J’ai de cette façon appris très vite qu’on pouvait vivre différemment dans une même collectivité.  J’ai grandi sous Duvalier et j’ai dû apprendre à survivre dans un contexte despotique régnant.  Pour résumer, mon parcours est empreint d’une diversité qui a longtemps fait partie de ma vie.

P.T.  Lorsque vous êtes arrivée au Québec, avez-vous trouvé des points complémentaires et/ou contradictoires entre les valeurs haïtiennes et québécoises ?

M.M. Cette question mérite d’y porter beaucoup d’attention.  Les valeurs haïtiennes et québécoises m’apparaissent universelles.  On a bien des points en commun.  Ce qui me vient en premier à l’esprit est cette peur de disparaître.  J’ai perçu ce très fort sentiment parmi ces Francophones qui baignent dans une mer d’Anglophones.  Les Haïtiens sont à la fois des Créolophones et Francophones se trouvant au milieu du continent américain.  Ils survivent et doivent se frayer un chemin.  On retrouve une certaine solitude vécue par ces deux peuples.  Ils doivent combattre, lutter, préserver leur langue et leur identité.

Plus précisément au niveau de l’identité, on observe ici un profond changement notamment depuis les années 60.  Je peux citer comme exemple l’auteur Michel Tremblay qui a beaucoup apporté au Québec.  Ses écrits sont authentiques et révolutionnaires. Avant Tremblay, ce qu’on voyait au théâtre d’ici ne représentait pas la masse populaire de notre province.  Michel Tremblay a su briser les principes du théâtre québécois qui était élitiste à l’époque à savoir il était basé sur les classiques de la France.  Cela a eu une portée considérable.  Tremblay a profité de la Révolution Tranquille qu’a connue le Québec dans les années 60 pour amener sa nouvelle forme de dramaturgie qui détruisait les valeurs véhiculées auparavant.  Les œuvres de cet auteur ont permis à la Belle Province d’assumer sa langue québécoise, de mieux définir et d’asseoir l’unicité de son identité face à la France.  La langue québécoise est vernaculaire.  Nos concitoyens ont ainsi dû se positionner par rapport aux Français.  Haïti a dû apprendre à faire de même en prospectant comment composer avec la dualité entre le créole et le français.  Ce pays s’est réapproprié la langue créole le 28 septembre 1979 via la Loi Joseph C.  Bernard.  Pendant longtemps, on n’enseignait pas le créole dans les écoles en Haïti dû aux séquelles des négriers français mais cela a changé notamment depuis la création de l’article 5 de la constitution de 1987 rendant officiel le créole au même titre que le français.  Cela a été une longue lutte parce que depuis 1964 on voyait apparaître dans la législation une première mention du créole dans la nouvelle constitution (article 35).  Toujours concernant la langue, (peu de personnes le savent) on retrouve certaines similitudes entre le créole haïtien et la langue québécoise parce que les colonisateurs français (de l’époque) qui s’installaient en Nouvelle-France étaient les mêmes qu’on retrouvait en Louisiane et dans les Antilles françaises.  Par exemple, ici on dit il fait frette5 et en créole haïtien on emploie la même expression (rires).  Il existe ainsi tout un contexte socio-historique dans une langue.  Au Québec,  l’identité continue donc à se construire et cette province s’affirme face à l’identité héritée.  On observe le même phénomène en Haïti concernant la culture française que ce pays a reçue en héritage.

La dissemblance que j’ai observée chez les deux peuples se situe au niveau du vécu individuel et du vécu familial. Notre société québécoise est devenue très individualiste.  Cet aspect m’a grandement frappée lorsque je suis arrivée ici.  Les Haïtiens vivent plutôt de manière collective et familiale, avec une générosité plus simple.  Quand Haïti a dû subir l’embargo pendant trois ans, la population n’aurait pas survécu s’il n’y avait pas d’entraide.  Au fait, depuis nos deux cents ans d’histoire, Haïti aurait disparu sans le support mutuel.  Il importe d’ajouter que dans toute culture, il existe des sous-cultures.  Je fais référence particulièrement aux classes sociales.  Il faut donc apporter des nuances.  La bourgeoisie d’une société ne voit pas nécessairement les choses de la même façon que la classe populaire.  Ceci est autant vrai pour la société québécoise qu’haïtienne.  A cet égard, au Québec et en Haïti on retrouve une diversité de points de vue, des normes et des variantes régionales.  Il faut donc savoir de quelles valeurs québécoises et haïtiennes dont on parle exactement.

J’ai observé qu’il existe ici peu de hiérarchies et de classes.  Je trouve extraordinaire qu’au Québec on observe un souci constant chez le peuple de se construire sur une base égalitaire.  Les rapports sont plus équitables contrairement à Haïti qui a un passé esclavagiste.  Ce pays a été longtemps opprimé par l’empire français.  Haïti doit faire face également à une sorte de néocolonialisme ce qui rend le contexte différent. Cela a forcément teinté les liens entre les gens.  Le créole haïtien et le français en milieu nord-américain sont en pleine évolution.  Ces langues échappent en grande partie aux contraintes linguistiques de l’Hexagone lointain.

P.T.  Quels mots pouvez-vous utiliser pour décrire le Québec ?

M.M. Je suis fascinée par cette province.  J’aime la spontanéité, la liberté, la simplicité empreinte d’absence d’artifice, la justice sociale.  Nous vivons dans une société de consensus et de compromis.  Tout cela me plaît au Québec.  J’observe beaucoup de changements ici.  Il s’agit d’une société en mouvement.  L’exemple le plus frappant que je peux apporter est l’évolution et la transformation rapides de la société québécoise particulièrement depuis la Révolution Tranquille (avec les instruments de développement social dont cette société s’est dotée).  On aime aussi beaucoup l’innovation ici.  Cela va avec le fait que nous sommes dans le Nouveau Monde où il n’existe pas une histoire ancienne (à l’exception de l’histoire précolombienne) comme en Europe.  La recherche de l’équité représente ici une valeur fondamentale notamment l’égalité entre les genres.  Le combat a pris son envol particulièrement au début des années 40 sous le gouvernement Godbout où les femmes ont pu commencer à voter.  Cette lutte est légitime et non négociable.

J’ai fait référence précédemment à la simplicité qui me plaît au Québec.  Quand on nous demande par exemple d’où l’on vient cela ne fait pas référence à notre milieu familial ni social ce qui peut être le cas dans d’autres sociétés où l’on classifiera les gens sur ces bases.  Lorsque l’on pose cette question d’après moi cela permet de situer la personne et je ne conçois pas cela de manière négative.  Pour terminer, le Québec se définit évidemment par sa langue, premier instrument de la culture et de la liberté du peuple.  Elle représente l’assise primordiale de son identité et une partie fondamentale de sa volonté de s’affirmer.

P.T.  Pouvez-vous partager avec nous en quoi votre expérience d’études et de travail outre-mer (par exemple, en Belgique et en France) vous a permis de mettre à profit vos connaissances dans le cadre de votre carrière?

M.M. Je me considère privilégiée à savoir j’ai eu l’occasion de vivre plusieurs expériences variées.  J’ai fait des va-et-vient entre l’Europe, l’Amérique et plus spécifiquement Haïti.  J’ai vécu avec des gens provenant d’horizons divers.  Ce que je vais vous raconter vous étonnera très probablement.  Lorsque je suis arrivée en Belgique, je devais commencer mes études en médecine mais le destin en a décidé autrement.  Je me suis retrouvée en psychologie par hasard.  J’étais bonne dans la plupart des différentes matières.  A l’époque, j’étais idéaliste et je souhaitais évidemment sauver le monde.  Le caractère philanthropique de la profession médicale m’attirait.  Je dois préciser qu’au fait tout m’intéressait :  la religion, le droit, les sciences économiques, etc. 

Imaginez-vous que deux heures avant mon inscription à la faculté de médecine, j’ai décidé d’entreprendre des études en psychologie.  Lorsque je suis arrivée ici en 1981, un professeur en psychologie au CÉGEP6 a pris connaissance de mon parcours et de mes intérêts.  Il m’a influencée à m’orienter vers le domaine de la psychologie sociale, organisationnelle et du travail.  Je me suis perfectionnée dans le champ de l’intégration des gens sur le marché du travail.  J’ai fait des stages très intéressants et enrichissants dans le cadre de mes études.  Il est certain que mon bagage académique acquis en Europe m’a été profitable et bénéfique.  Mon expérience outre-mer m’a permis d’apporter une perspective différente et d’avoir une capacité d’analyse plus large de la culture organisationnelle de diverses entreprises québécoises.  J’ai été en mesure de mettre à profit mes connaissances.  Mes études en Europe m’ont donné une grande rigueur et de la discipline.  Là-bas, la culture générale est très valorisée et on n’est pas confiné à un champ spécifique.  Ceci permet de changer aisément de créneau, d’acquérir une grande polyvalence et d’être outillée à s’adapter à différents milieux d’entreprises.  Au Québec, j’ai pu développer une perspective plus pragmatique et spécialisée en faisant davantage des liens entre la théorie et la pratique.

P.T.  Parlez-nous de votre expérience (en 1995) en tant que coordonnatrice générale de l’assemblée annuelle de l’Organisation des États Américains (OEA).

M.M. Cela a été une expérience extraordinaire qui remonte à 15 ans.  Haïti avait fait la demande de convoquer (sur son sol) l’Assemblée générale de l’OEA.  Au début, certaines personnes étaient suspicieuses et sceptiques.   Nous devions recevoir environ mille personnes près de nos hôtels (pas loin de la côte des Arcadins7) et nous ne possédions pas l’infrastructure requise.  Cependant, le secrétaire général de l’époque avait décidé de nous faire confiance.  Vu que l’infrastructure manquait, nous avons aménagé une plage pour recevoir les délégués.  Le Club Med a été restauré pour recevoir plus de 700 personnes.  Nous avions précisément six mois pour tout préparer :  la logistique, etc.  L’aspect artisanal et l’architecture éclectique caractérisant Haïti ont été mis à l’honneur.  J’ai coordonné le tout.  Ce fut un succès grâce à notre travail d’équipe avec la collaboration du Ministère des Affaires étrangères en Haïti et ainsi de suite.  Cela a fait la fierté de nos compatriotes.  Chaque entité avait sa place et apportait sa contribution.

Nous avons reçu un appui indéniable de la MINUSTAH8, particulièrement de la part du contingent canadien.  La mission a mis à notre disposition des hélicoptères, etc. L’OEA m’a donné un soutien incontestable et jusqu’à présent cette organisation parle de cet événement marquant.  Les Américains ont notamment exprimé leur appréciation et ils étaient contents de découvrir une tout autre réalité du pays.

P.T.  Depuis le printemps 2009, vous êtes l’attachée politique du député de Viau, Emmanuel Dubourg.  Pouvez-vous nous décrire vos rôles et vos principales fonctions ?

M.M. Je représente le député depuis environ huit mois.  Je me trouve surtout sur le terrain de notre comté.  Mon rôle consiste à conseiller le député.  Lorsqu’il se retrouve à Québec en session, ce sont ses attachés qui le représentent.  Il faut donc une confiance mutuelle entre le député et son attaché.

Notre comté est très multiethnique.  Nous avons environ 79 communautés culturelles.  Nous devons connaître les difficultés vécues par nos citoyens.  Nous accueillons beaucoup de nouveaux arrivants et l’employabilité par exemple,  représente un dossier important.  Nous connaissons aussi une problématique de décrochage scolaire chez les jeunes et un certain déficit d’intégration.  Je dois, par ma présence assurer celle du député auprès de la population.  Les activités de représentation sont d’ailleurs nombreuses au courant de l’année.  La communauté culturelle la plus présente sur notre territoire est italienne.

Au bureau, je suis responsable des dossiers institutionnels: écoles, organismes, entreprises, etc.  Ces entités présentent des projets ou font des demandes d’appui. Je procède à leur analyse et je remets mes recommandations au député. J’assure aussi une grande partie des suivis.  Mes expériences passées m’aident beaucoup et je suis dans mon domaine de prédilection.  La sphère politique est comme un sacerdoce et non un privilège.  Les citoyens ont voté et nous devons être à leur service.

En résumé, je me considère comme une femme de terrain et le rôle d’attachée me convient amplement car il me permet d’être près des gens.  J’ai aussi le sentiment de contribuer et d’être reconnue sans avoir été élue.  Je perçois cela comme un privilège.

P.T.  Quelle est votre perception concernant la place de la femme en politique ?

M.M. J’aimerais commencer par dire que je me suis toujours identifiée en tant que féministe.  Ce n’est pas difficile parce que je tiens cela de mon père à savoir il a toujours été important pour lui qu’une femme prenne sa place. Personnellement, je n’ai jamais eu d’expériences négatives en Haïti en tant que femme mais ce n’est certainement pas le cas pour toutes les femmes.  Dans mon pays d’origine, un ministère de la condition des femmes a été créé en 1995 et cela lance un message très fort à la population.  Ce ministère s’intéresse aux diverses problématiques touchant les femmes :  leurs conditions socio-économiques, leurs droits, leur protection physique, etc.  La femme est au centre de tout et son développement dans tout le sens du terme est primordial.  En Haïti, nous avons des femmes qui occupent des postes très importants : ministres, directrices de banque, etc.  Haïti a donné la première présidente de la République en 1990, Ertha Pascal-Trouillot.  Pour moi, la question de la place de la femme en Haïti ne se pose pas.  Dans ce pays, les hommes jouent aux dominos et les femmes travaillent (rires).  La femme haïtienne porte la société sur ses épaules et c’est pour cela qu’on l’appelle en créole Poto mitan9.

En ce qui concerne le Québec, je me questionne surtout sur la place des hommes. L’une des grandes raisons pour laquelle j’ai accepté le poste d’attachée politique a été le fait que je trouve intéressant d’accompagner un homme député qui représente un modèle pour les jeunes appartenant au genre masculin.  Le décrochage chez les garçons représente l’un des problèmes importants vécus.  Au fait, il s’agit ici d’une difficulté commune à n’importe quelle communauté culturelle y compris la société dans son ensemble.  A mon avis, le vrai diagnostic de ce phénomène n’a pas encore été posé.  Il y a quelque chose que nous n’avons pas encore saisi.  Cela fait plus de 50 ans que les femmes d’ici n’étaient pas au devant de la scène.  Elles ont pris leur place d’une certaine manière mais les hommes ont pris du recul.

P.T.  Il existe plusieurs modèles masculins de réussite mais certains pensent qu’il n’y en a pas assez jouant un rôle de mentors auprès des jeunes garçons.

M.M. On peut voir le problème sous cet angle.  Je crois aussi qu’on a parfois tendance à regarder l’homme selon le fonctionnement mental de la femme et on se trompe probablement.  La complémentarité entre les genres s’avère très importante.  Il existe des gens qui veulent contribuer et d’autres non quel que soit le genre.  Je crois qu’il est plutôt question d’être capable de trouver des gens intéressés à s’allier aux mêmes causes.  La femme accorde plus d’importance aux détails.

Pour revenir à votre question initiale, selon moi la question sur le rôle de la femme au Québec ne se pose plus dans le sens où un cadre a été défini.  Nous devons continuer à prendre notre place dans les faits.  Cependant, mon inquiétude concerne plutôt les jeunes hommes.  Nous devons retrouver un équilibre.  J’aimerais toutefois apporter une nuance.  En politique, il n’est pas toujours évident pour la femme de concilier le travail et la famille.  En Haïti, cela se fait plus aisément en raison de l’apport des employés de maison et du soutien de la famille élargie.  En Occident, on a vu l’exemple avec l’ancienne Garde des Sceaux, ministre française de la justice Rachida Dati qui a dû faire des choix difficiles suite à sa maternité.  Ici ou ailleurs en Occident, la conciliation travail-famille peut être moins évidente.  Une femme se trouvant dans l’arène politique québécoise doit faire plus de sacrifices.  A titre d’exemple, je lève mon chapeau à la ministre de l’Éducation Michelle Courchesne qui sait concilier ses obligations familiales.  Elle a été l’aidante naturelle de son feu mari pendant qu’elle avait d’importantes responsabilités professionnelles à assumer.  Toujours en lien avec votre question, je veux souligner l’apport de l’ex-ministre des finances madame Monique Jérôme-Forget que je décris comme une femme éclatante.  Elle a apporté une grande contribution à la politique québécoise.  Par exemple, elle a mené  avec brio le dossier de la parité salariale dont environ 400 000 personnes (majoritairement des femmes) en bénéficient.  Pour conclure, je pense qu’on doit avoir une passion afin de se retrouver dans le domaine politique.  En ce qui me concerne, il s’agit d’une sphère où je sens que je contribue et que je me réalise en tant que femme.

P.T.  Vous avez un peu répondu à ma prochaine question mais je vais vous demander précisément : quelles sont les femmes d’ici et/ou d’ailleurs qui selon vous ont fait avancer des dossiers importants?

M.M. Au lieu de nommer une personnalité en particulier, je me suis toujours demandé pourquoi ne pas reconnaître plusieurs personnes ou par exemple un organisme communautaire.  J’ajouterais même pourquoi ne pas reconnaître une femme faisant partie de notre quotidien.  A titre d’exemple, ma grand-mère était le poton mitan. Elle était une femme que j’admirais beaucoup.  Elle avait un côté très combatif dans sa personnalité.  Au fait, beaucoup de personnes m’ont influencée au courant de ma vie.  Mon père était féministe et il me coiffait ainsi que ma soeur.  Il nous incitait à prendre notre place.  Je me suis également retrouvée chez les religieuses durant mon enfance.  Ces femmes ont eu un impact positif sur ma vie.  Elles m’ont permis d’avoir un portrait plus juste de la société.  Mon père a été arrêté sous Duvalier après avoir été dénoncé et j’ai dû vivre longtemps parmi les sœurs catholiques qui m’ont apporté un grand soutien.  Il est donc difficile pour moi de donner quelques noms de femmes vu que plusieurs m’ont construite.
J’aimerais ajouter que des autrices ont aussi façonné mon univers telles que l’Haïtienne Marie Vieux-Chauvet avec ses romans (Amour, colère et folie, etc), l’Algérienne Marie Cardinal (j’ai particulièrement aimé Les mots pour le dire), etc.

P.T.  Quelle est votre appréciation sur la place des jeunes en politique?

M.M. J’aime beaucoup le Parti Libéral notamment pour la place qu’il laisse aux jeunes.  Ces derniers représentent 33% des membres de notre parti ce qui est non négligeable et leurs voix comptent à cette hauteur.  Madame Yolande James a été la ministre la plus jeune qui a été nommée dans l’histoire du Québec.  Elle est probablement aussi l’une des plus jeunes au Canada.  Notre parti donne la place aux jeunes pour s’impliquer.  Je crois qu’il est important pour eux de faire de la politique active.  Nous devons trouver des moyens pour rassembler les différentes générations notamment X et Y.

P.T.  Quels sont les pièges à éviter dans votre domaine que vous souhaitez communiquer aux jeunes souhaitant entrer dans l’arène politique?  Quelles sont les règles et pratiques non écrites dans la vie politique que vous pourriez partager avec les jeunes?

M.M. Je ne vois jamais des pièges en politique (rires).  Avant de chercher à éviter des choses, il faut décoder et connaître son milieu.  J’ai beaucoup pleuré au courant de ma carrière et j’ai appris.  Le plus important est de tirer des leçons de nos expériences.  En tant que mentor, il important de ne pas transmettre ses douleurs à la jeunesse.  Personnellement, je fais attention à ne pas léguer cela à mes enfants ou à ceux des autres.  On a tendance à croire qu’il existe des pièges en politique à cause des scandales, etc.  Mais, au fait  je ne crois pas que ce domaine soit différent des autres en ce sens.  Il est possible de retrouver des intrigues dans d’autres sphères. 

A mon avis, le conseil le plus important que je puisse donner aux jeunes est d’apprendre à respecter et à accepter les différences de chacun pour être capable de travailler ensemble.  Pour moi, il n’y a pas d’ennemis mais des gens partageant des points de vue différents.  Mes valeurs ne sont pas négociables.  Par contre, lorsqu’on est âgé à peine de 18 ans par exemple, on n’a pas des valeurs encore bien ancrées.  Dans cette situation, on chemine à travers les années et on doit apprendre à composer avec les façons différentes de voir les choses chez autrui.

Il faut savoir tirer toutes les leçons qui s’imposent à partir de nos défaites.  Il importe d’être en mesure de transformer nos revers pour en faire un tremplin nous projetant vers le succès.  Il s'avère utile aussi de demander à quelqu’un de plus avisé ou expérimenté de nous conseiller.  En d’autres mots, cela peut être indiqué de rechercher un mentor politique qui est susceptible de servir de guide aux jeunes.  Ceci leur permettra d’éviter des pièges et de gagner du temps.

P.T.  Quel est votre mot de la fin pour vos lecteurs?

M.M. Merci, madame Turnier pour m’avoir écoutée et je remercie d’avance les gens qui me liront.

Merci madame Michel pour cette très belle entrevue et pour avoir partagé avec nous votre riche expérience professionnelle!

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1 Réseau des femmes d’affaires du Québec
2 Cette cellule fait partie du RFAQ
3 Au début du 19ème siècle, les descendants du régiment polonais ont combattu l’armée du beau-frère de Napoléon (le général Leclerc) venue pour  tenter de rétablir l’esclavage.  Suite à l’indépendance d’Haïti en 1804, le gouvernement a donné comme terre aux Polonais la région des Fonds-des-Blancs au Sud (ayant un climat tempéré semblable à la Pologne) du pays en guise de reconnaissance.  De cette façon, cette communauté s’est installée depuis cette période en Haïti et s’est métissée avec les locaux.
4 Il s’agit du plus long fleuve d’Haïti.  L’attachée politique fait référence ici à la vallée longeant ce cours d’eau
5 Expression québécoise qui signifie:  il fait froid
6 Un collège d’enseignement général ou professionnel ou CÉGEP est un établissement d’enseignement collégial québécois où l’on offre une formation technique et pré-universitaire.
7 Les Arcadins sont situés dans le golfe de la Gônave en Haïti
8 Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti
9 Ce vocable signifie en Haïti “poutre-maîtresse”, c’est-à-dire le pilier de la société.