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Entretien avec le directeur du développement des relations stratégiques du Cirque du Soleil : Welby Altidor PDF Print E-mail
Written by Patricia Turnier   
Tuesday, 13 July 2010 16:05

Welby Altidor, citoyen du monde et d’origine haïtienne, est né à Montréal en 1973.  Il a effectué ses études en théâtre et communication au Conservatoire LaSalle.  Il a poursuivi des études universitaires en philosophie, sciences politiques et en relations publiques dans le but de mener un doctorat en philosophie politique.  Bien que monsieur Altidor n’ait pas renoncé à cet objectif, pour le moment le destin en a décidé autrement.  Il a commencé un emploi au niveau de la distribution artistique pour des commerciaux télévisés.  Il a occupé ensuite la fonction de directeur de casting pour l’agence Andrea Kenyon.  En 1999, il est devenu un dépisteur de talents pour un projet télévisé relié à la célèbre entreprise québécoise de divertissement le Cirque du Soleil1 (www.cirquedusoleil.com) (comprenant au-delà de 5 000 employés qui sont originaires de plus d’une cinquantaine de pays) appartenant à Guy Laliberté. Le travail de dépisteur a donné à monsieur Altidor l’opportunité de voyager à travers le monde.  Il a présentement le mandat de rechercher des talents rarissimes à long terme pour le Cirque du Soleil depuis 2007.  Il vise à développer des liens stratégiques avec des organisations liées au monde du sport, des arts ou du cirque pour le service Casting et performance.  Welby Altidor s'occupe plus spécifiquement de  la fonction de directeur du développement des relations stratégiques en créant des alliances pour soutenir le recrutement des nouvelles perles rares à travers le monde (acrobates, comédiens, danseurs, musiciens, etc).  Il collabore avec les recruteurs du Cirque et il a participé activement au casting de plus d’un millier d’artistes.

Monsieur Altidor est apparu sur la page couverture de la plus grande publication économique québécoise, le journal Les Affaires2 (www.lesaffaires.com) en novembre dernier.  Il est devenu le premier Noir à faire la une de ce journal.  Il a été l’invité d’honneur le 12 novembre dernier au 6e cocktail-bénéfice de la JCCH3 au prestigieux club Mount Stephen à Montréal car il est considéré comme un jeune gestionnaire hors pair de la société québécoise.  Welby Altidor ne perd jamais de vue que le Cirque existe grâce aux artistes et non le contraire.  Il importe donc pour cet homme de garder ce respect afin de faire des choix éclairés dans l’exercice de ses fonctions.  Sur le plan personnel, il est marié à une metteuse en scène sud-africaine et il est un père fier d’un enfant âgé de deux ans.  Nous avons eu le plaisir de le rencontrer au Siège social international du Cirque du Soleil le 18 janvier 2010 (correspondant à l’anniversaire de Martin Luther King) à Montréal en présence de Chantal Côté, porte-parole du Cirque du Soleil qui nous a apporté certains compléments d’informations.  Par Patricia Turnier, rédactrice en chef, LL.M (Maîtrise en droit).


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P.T.  Avez-vous développé un intérêt pour le domaine du spectacle depuis votre enfance?

W.A. Je peux répondre par l’affirmative.  Durant les premières années de la vie, en tant qu’Haïtien on est souvent exposé aux chants de l’église où les musiciens sont présents sur scène.  Il s’agit d’une expérience unique qui représente l’idée générale que l’on se fait de l’église.  Cela m’a permis de voir comment on se présente en public, la façon dont on s’y prend pour s’adresser à l’auditoire.  J’ai vécu bien entendu par la suite d’autres expériences qui ont confirmé mon intérêt pour le domaine du spectacle mais je dirais que tout a commencé pour moi à l’église.

P.T.  Vous travaillez pour le Cirque du Soleil depuis l’an 2000.  Pouvez-vous nous parler de la philosophie de cette entreprise?

W.A. La mission du cirque est réellement très claire.  Trois mots la définissent :  1) Évoquer, 2) Provoquer et 3) Invoquer.  Ces vocables donnent le levier nécessaire pour agir sur le monde.  Le Cirque du Soleil représente un agent positif d’émerveillement et de changement sociétal.  Je crois que la philosophie s’est développée de manière très naturelle.  Elle est présente depuis le commencement.  Les fondateurs avec Guy Laliberté allaient dans les rues et touchaient les gens.  Ils utilisaient les moyens mis à leur disposition (à l’époque).  Les performeurs de rue découlent d’une tradition très ancienne.  Tous ces éléments sont à la base de ce que le Cirque fait actuellement. 

En tant qu’organisation, il importe de demeurer contemporain et novateur tout en préservant son authenticité.  Ces caractéristiques apportent selon moi le caractère génial au Cirque et une longévité à l’entreprise.  J’ajouterais que l’aspect novateur du Cirque se distingue par le fait qu’il n’y avait pas une tradition de cirques au Québec.  Cela a été un avantage de ne pas avoir le poids d’une tradition vieille de plusieurs siècles.  Il a fallu se rendre en Europe, voir ce qui s’y faisait à l’époque et s’en inspirer pour donner une touche particulière au Québec tout en l’adaptant.  Il existait ici d’autres formes d’expression qui émergeaient notamment au niveau théâtral.  Le Cirque a fait partie de cette effervescence (dans le sens positif du terme).  Il ne faut donc pas oublier cette dimension historique où le Québec fut un terreau propice à l’émergence de la novation.  Le fait de ne pas avoir le poids de siècles d’histoire (de cirques) comme en Europe nous a été favorable car cela nous a permis d’oser. 

P.T.  On retrouve plus d’une cinquantaine de nationalités au Cirque.  Comment composez-vous monsieur Altidor avec vos effectifs cosmopolites?

W.A. Je perçois cela comme une métaphore.  Dans les salles d’entraînement, on voit des gens qui travaillent à travers les vitraux.  Sur scène, on retrouve toujours un élément de multidisciplinarité et de pluralisme.  Nous avons des artistes qui viennent du domaine de la danse, de l’acrobatie, etc.  Les gens sont issus de plusieurs disciplines et de différents horizons par conséquent, la diversité est toujours à l’ordre du jour à tous les niveaux.  Le fait que nous soyons composés de 50 nationalités représente une résultante de tout cela.  En ce qui me concerne, il s’agit d’un phénomène naturel et simple qui ne me désarçonne aucunement.  Je détiens une facilité à rentrer en contact avec l’attachée de presse vivant à Tokyo, avec celle se trouvant aux Etats-Unis ou à Amsterdam par exemple. 

P.T.  Il est naturel pour vous de travailler avec des gens venant d’ailleurs.

W.A. Oui, tout à fait et il s’agit d’un aspect essentiel pour l’emploi que j’occupe.  Je crois profondément aussi que la diversité fait partie du succès du Cirque parce que nos spectateurs s’identifient à ce qu’on leur présente.  A mon avis, le cosmopolitisme donne justement un cachet au Cirque du Soleil.  En tant que dépisteur, je me suis promené dans divers centres culturels à travers différents pays.  J’ai constaté que dans certaines villes comme New York, il existe très peu de maillage entre les multiples disciplines.  Par exemple, la compagnie de danse Alvin Ailey fera ses spectacles, il en est de même pour Broadway et ainsi de suite mais tout cela se produit sans alliance entre ces diverses parties.  Le Cirque du Soleil apporte son unicité en ce sens par le biais de son éclectisme. 

P.T. Vous avez participé au recrutement (pour la première fois) de plusieurs artistes pour le spectacle Varekai.  S’agissait-il du plus beau moment de votre carrière?  Qu’est-ce que cela a représenté pour vous?

W.A. Comme cela a été mentionné auparavant, je suis au Cirque depuis dix ans et honnêtement durant toute cette période je n’ai jamais eu une journée qui était pareille.  Ceci est superbe parce que cette situation sous-entend que continuellement je dois relever des nouveaux défis ce qui est très stimulant pour moi.  Il s’agit d’un espace de travail extrêmement gratifiant.  Pour cette raison, il est très difficile pour moi d’arrêter mon choix sur un spectacle en disant que Varekai aurait été mon meilleur moment.  Je ne cacherai pas qu’il s’agissait d’un moment formidable et que cela a été l’un de mes spectacles préférés.  Varekai  a marqué un moment nouveau dans l’histoire du Cirque.  J’étais très content du résultat.  On a travaillé très fort avec une équipe différente de concepteurs.

C.C.  Pour ce spectacle, nous avons fait appel à un metteur en scène externe au Cirque.

W.A. Oui, tout à fait et merci Chantal [Côté] de le souligner.  Le metteur en scène était Dominic Champagne, déjà reconnu sur la scène québécoise.  Plus précisément, il a écrit et dirigé Varekai.  Cette formule a permis au Cirque d’aller chercher du contenu créatif externe.  Varekai est également spécial pour moi parce qu’il s’agit du spectacle préféré de ma fille (rires).  Elle adore le personnage qu’elle appelle Icare et quand je lui raconte son histoire cela fait en sorte qu’elle est sous le charme de ce récit.

P.T.  Expliquez-nous vos fonctions au niveau du développement des alliances stratégiques avec les organisations liées au monde du sport, des arts ou du cirque.

W.A. Ma fonction au cirque actuellement consiste à permettre d’utiliser un bassin de talents dans le domaine de la gymnastique, par exemple.  Ce bassin est composé de gens qui ont mené une carrière compétitive et qui souhaitent explorer d’autres avenues.  Certains questionnent la possibilité de fréquenter l’université, etc.  Par conséquent, je travaille avec les diverses organisations.  Cela donne l’opportunité aux athlètes par exemple de préparer leur avenir ou de les orienter vers une nouvelle direction.  Je m’assure du fait qu’il y a un nombre suffisant d’athlètes ou d’artistes prêts à travailler pour le Cirque du Soleil.  On s’arrange ainsi pour que la communauté artistique et gymnastique soient au courant des diverses opportunités existantes.  Il nous arrive de développer par exemple des projets avec la Fédération internationale de gymnastique (FIG) où on les aide à découvrir les différents horizons possibles pour leurs athlètes.  Un des aspects intéressants du Cirque concerne le fait que nos effectifs puissent prendre des initiatives.  Ceci est encouragé dans notre milieu.  On n’a pas besoin d’attendre que quelqu’un donne la permission pour faire quelque chose.  Il existe une ouverture ici pour l’innovation.  Il ne s’agit pas d’un milieu qui exige la conformité chez ses employés. 

P.T.  Cette façon de voir les choses favorise définitivement la créativité.

W.A. Tout à fait et il s’agit d’un aspect fondamental chez nous comme philosophie.  Nous encourageons les gens à utiliser leur force tout en soutenant les artistes et athlètes.

P.T.  Une entente a été signée avec la Fédération internationale de gymnastique et avec plusieurs fédérations nationales.  Comment négociez-vous pour que les deux parties trouvent leur compte?

W.A. Je tiens à préciser que je ne suis pas seul et le travail d’équipe est réellement privilégié en ce qui a trait aux négociations.  Le Cirque est profondément un acte collectif dans son entièreté.  Même si le meilleur numéro a été créé, tout se fait ensemble ici: les prises de décision, etc.  Les initiatives sont toujours les bienvenues tout en obtenant un consensus.  A cet égard, la plupart des négociations se font en équipe.  Au fait, le processus commence à l’interne où je prends le temps de consulter à qui de droit toutes personnes concernées par les négociations qui devront se faire avec les partenaires externes.  Je commence par prendre le pouls de l’équipe, je compulse les notes prises et je tiens compte des objectifs communs.  Il importe de procéder à l’analyse des divers enjeux et de mettre sur pied des plans d’action.  Ceci demande un grand travail de préparation et de réflexion.  Ensuite, je pars par exemple en Allemagne pour concrétiser une entente avec la Fédération internationale de gymnastique.  Rendu à cette étape, tout devient une formalité pour signer le contrat parce que le travail préparatoire a déjà été effectué et on sait où l’on s’en va.  On s’arrange toujours afin que l’entente soit significative pour les deux parties.  Par la suite, on maintient en vie le contrat en le fignolant au fur et à mesure.  Il arrive qu’on réévalue les différentes clauses après deux ans pour apporter les réajustements qui s’imposent.  L’entente devient un outil clé afin de consolider la relation entre les diverses parties.  Au fait, une excellente communication représente l’élément privilégié concernant tout ce processus.  Vu que nous sommes impliqués sur le plan international, nous devons faire beaucoup de recherches sur les diverses façons dont les contrats sont négociés en prenant en considération notamment les facteurs culturels qui rentrent en jeu.  Nous devons connaître les subtilités des différentes cultures et il n’est pas rare à cet égard que nous fassions appel à nos effectifs cosmopolites.  Il importe de savoir qu’on ne négocie pas dans le domaine des affaires en Russie de la même façon qu’au Japon ou aux Etats-Unis par exemple.  Une compétence culturelle est donc requise.  Cet aspect de mon travail au Cirque m’apporte une grande richesse car cela me donne l’opportunité de saisir les diverses nuances tout en faisant preuve d’empathie.

P.T.  Avez-vous eu des obstacles au cours de votre carrière que vous pouvez partager avec nous tout en nous faisant part des moyens pris pour les surmonter?

W.A. En effet, j’ai eu des obstacles mais en prenant du recul j’ai réalisé que la plupart des difficultés sont internes.  Je peux partager avec vous un obstacle important qui a été déterminant dans ma carrière.  Il s’agit du moment où je suis devenu directeur au sein du département de casting.  On peut être porté à croire que l’autorité et le leadership sont des notions qui viennent automatiquement avec ce titre.  La réalité est que le titre n’a rien à voir avec l’influence qui s’exerce.  Cette expérience a été un apprentissage pour moi et un point déterminant dans ma carrière au Cirque.

P.T.  Aviez-vous un mentor ?

W.A. J’ai su profiter de l’expérience de mon VP de l’époque et ce, jusqu’à présent.  Il s’agit d’un ancien entraîneur d’athlètes de très haut niveau.  Il m’a aidé dans mon cheminement professionnel. 

P.T.  Avez-vous été impliqué au niveau du spectacle fixe (à Las Vegas) du Cirque du Soleil sur la carrière musicale d’Elvis et pouvez-vous nous parler de vos prochains projets?

W.A. Je n’ai pas été impliqué directement au niveau du spectacle d’Elvis.  Je suis dans les coulisses.  Mon rôle est plutôt celui de diplomate et de lobbyiste.  Concernant nos futurs projets, nous avons un projet pilote de développement en sport de rebond que nous souhaitons mettre sur pied au Brésil à Rio.  Depuis février dernier, nous travaillons là-dessus.  Cela a demandé de rallier le personnel à une idée novatrice tout en l’incitant à aller de l’avant avec ce projet.  Le programme en question concerne tout ce qui touche les trampolines, etc.  C’est la première fois que nous avons mis sur pied un programme ayant comme objectifs des éléments de développement social et professionnel.  Nous visons donc à cibler des jeunes brésiliens qui ont du talent mais qui n’ont pas l’opportunité de l’exploiter.  Nos formateurs leur permettront de progresser, d’être accompagnés à long terme et de se développer dans leur discipline (pas seulement au niveau du Cirque mais au-delà de notre entreprise).  Plus nous formerons des jeunes talents, plus il y en aura qui seront intéressés à progresser au sein du Cirque.

P.T.  Il serait bénéfique que ce type de programme se développe ailleurs à travers le monde.

W.A et C.C. Il s’agit d’un projet pilote mais effectivement ce type de programme pourrait avoir un impact important et un rayonnement à travers l’Amérique du Sud par exemple.  Il faut toutefois que l’on commence quelque part.

C .C. J’aimerais préciser qu’il existe depuis 15 ans au Cirque du Soleil, un volet de cirque social visant à rehausser l’estime de soi de jeunes en difficulté.  Le programme se nomme Cirque du monde et nous le réalisons en partenariat avec Oxfam et Jeunesse du monde.  Des jeunes de partout ont la possibilité de suivre des ateliers de cirque pendant une douzaine de semaines durant lesquelles on travaille à rehausser leur estime d’eux-mêmes. Ces jeunes ont souvent eu un mauvais départ dans la vie (certains ont rencontré des problèmes de drogue, d’autres vivaient dans la rue, etc).  À l’aide des arts du cirque, plusieurs valeurs sont véhiculées dont la confiance en soi et en l’autre, l’importance de la discipline, l’assiduité, etc.  Au terme de ces ateliers, les jeunes font un spectacle dans leur communauté locale et sont reconnus ou même applaudis pour quelque chose de positif qu’ils ont accompli.

W.A. Au Brésil, il existe un besoin d’expertises et notre projet est tout autre.  Par conséquent, en formant ces jeunes nous aidons à créer une base solide qui s’étalera sur du long terme avec le transfert du savoir.  On utilise aussi nos ressources internes.  Par exemple, l’un de nos collègues connaît très bien le pays et y a vécu pendant quatorze ans.  Il a proposé d’ailleurs l’idée de lancer ce projet.  Nous avons vu aussi au cours des auditions les potentiels qui se trouvaient au Brésil.

P.T. Quelles sont les qualités que vous recherchez au Cirque du Soleil chez les futurs artistes?  Expliquez-nous votre concept de casting d’exception dont vous avez fait part au journal Les Affaires en novembre dernier.

W.A. On recherche chez les artistes un peu les mêmes qualités des autres employés venant travailler au Cirque.  Je tiens à dire qu’il n’existe pas un manuel ou un guide avec des critères très précis à respecter.  Quand j’étais dépisteur, je faisais plusieurs auditions à divers endroits dans le monde.  Un évaluateur était présent parmi nous.  Souvent, les artistes (acteurs, musiciens, danseurs, acrobates, etc) nous demandent ce que l’on recherche.  On répond toujours que nous ne voulons pas qu’ils se conforment à ce qu’ils doivent faire.  On veut qu’ils nous démontrent en quoi ils sont remarquables, comment ils sortent des sentiers battus.  C’est ce que nous visons.  Si l’artiste ne fait pas quelque chose d’intéressant sur scène, il n’existera pas pour le public.  Lorsque l’on est touché par un film ou par un livre par exemple, on n’a pas au départ des critères préétablis.  C’est la même chose pour le Cirque.  Tout se joue au niveau des tripes.  Le cœur doit être touché.  Il faut ressentir quelque chose d’authentique.  Il s’agit de l’essence du Cirque.  Un courant doit passer entre l’artiste et les spectateurs.  Je suis très passionné, je pense (rires).

P.T.  On dit que dans le domaine du divertissement, il est toujours mieux de ne pas faire un plan de carrière.  D’autres diront, qu’un plan de carrière quel que soit le domaine n’est jamais définitif.  Qu’en pensez-vous?

W.A. Je crois que ma position est claire (rires).  Je trouve cette question fascinante.  On vit à une ère où il est possible plus que jamais de prendre des initiatives et de sortir d’un modèle créé sur mesure.  Le Cirque n’a pas suivi un plan et c’est ce qui a fait son succès.  Guy Laliberté a osé.  La force du Cirque a su briser les règles.  Le souci du dépassement a toujours été présent.  Guy [Laliberté] ne fait pas que parler, il agit.  Cette vision représente une grande source d’inspiration pour nous tous.  Le Cirque n’aurait pas évolué s’il était resté dans une zone de confort en restant dans un cadre très précis.  Je partage la même façon de voir les choses sur le plan individuel à propos de la carrière.  Concernant les artistes d’ici, ils ont la liberté d’explorer des zones inconnues, de se découvrir davantage en sortant des sentiers battus.  Le Cirque représente une métaphore ou une allégorie permettant le dépassement de soi.  Il faut réaliser ses rêves.  Par exemple, l’entourage des Frères Wright a dû leur faire croire qu’il était impossible de voler avec un appareil plus lourd que l’air.  On a longtemps pensé qu’il était impossible de se rendre sur la lune.  Tous ces inventeurs n’auraient rien apporté au monde s’ils n’avaient pas dérogé aux règles.  Pour revenir à Guy, à ses débuts il y avait des gens qui croyaient que ce n’était pas réaliste de créer un cirque d’envergure internationale  avec des milliers d’employés.   A mon avis, le vocable “impossible” n’existe pas dans le vocabulaire de Guy.

P.T.  Quels conseils avez-vous à donner aux jeunes souhaitant suivre vos traces?

W.A. (rires) Les qualités principales qui sont souvent recherchées dans mon domaine se résument ainsi :

- La créativité
- L’autonomie
- L’esprit d’équipe accompagné d’une facilité à créer des liens avec autrui
- Le professionnalisme
- L’aptitude à favoriser le consensus
- Une bonne capacité en planification et organisation
- Le dynamisme
- L’aptitude à négocier auprès des autres instances et partenaires
- La capacité à avoir une vision globale

Je dirais aussi aux jeunes qu’ils doivent avoir le courage de prendre des risques calculés tout en ayant l’audace de foncer.  Il faut être prêt à sortir de notre zone de confort surtout si elle ne nous aide pas à grandir.  Il importe de se faire confiance et de mener des projets qui nous alimentent.  On ne doit plus attendre la permission d’avancer dans la vie parce que cette autorisation ne viendra jamais.  Je crois qu’il s’agit d’un point fondamental dans ma communauté haïtienne.  Par contre, on peut l'élargir à la condition humaine de manière générale à savoir on ne doit pas craindre de prendre des initiatives et d’innover.  C’est une philosophie que j’applique autant dans ma carrière professionnelle que dans ma vie personnelle.  En ce jour de l’anniversaire de Martin Luther King, nous ne devons pas oublier que ce grand homme a su oser.

P.T.  Quel est votre mot de la fin pour vos lecteurs?

W.A. J’ai beaucoup aimé le thème de la JCCH en 2009 lorsque l’on m’a invité.  Le thème était « Oser ».  Je crois que tout ce que j’ai dit au début de l’entrevue touche de près ou de loin  ce thème qui est très pertinent pour notre époque.  Il faut être capable de sortir des sentiers battus.

P.T.  Merci monsieur Altidor pour cette très belle entrevue et merci madame Côté pour vos compléments d’informations!

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Chers internautes, nous terminons cet article en vous laissant lire cette citation de Welby Altidor concernant les leaders de demain : 

Nous vivons actuellement un moment de transformation sociale unique.  Pour la première fois dans l’histoire de nos sociétés modernes, un nombre sans cesse grandissant d’individus prend conscience qu’il n’est plus nécessaire d’attendre la permission de qui que ce soit pour apporter des changements positifs, innovateurs et profonds à nos sociétés et à nos vies.  Que ce soit dans le monde des affaires, de l’action sociale, de la politique, de l’environnement, des arts ou de la créativité en général, un modèle nouveau de leader émerge.  Ces nouveaux leaders sont passionnés, ils bâtissent des entreprises et des organisations qui ont à cœur le bien-être d’une communauté.

Plutôt que la recherche du profit, ils mettent l’innovation sociale, la créativité et l’authenticité de leur voix au cœur de leurs préoccupations.  Ces nouveaux leaders vous ressemblent.  Partout à travers le monde, des groupes d’individus qui n’ont pas conscience qu’ils sont reliés n’attendent que vous pour tisser des liens et créer du sens.  C’est peut-être le génie caché de notre époque, fournir l’espace nécessaire pour ne plus attendre la permission de personne pour créer.

Allez-y, osez !

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1   Le Cirque du Soleil a débuté dans les rues de Baie-Saint-Paul au début des années 80.  Cette entreprise est reconnue pour ses spectacles de haut calibre et a célébré (en 2009) son 25ème anniversaire sous le thème "Le rêve continue".  Les spectacles du Cirque du Soleil ont été vus par plus de 100 millions de spectacteurs sur cinq continents au cours des 25 dernières années.

2  vol.  LXXXI, No 44

3  Il s'agit de la Jeune chambre de commerce haïtienne qui a gagné le prix de la meilleure chambre de commerce de l'année au Québec au printemps 2006 (www.jcch.ca)