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Entrevue Exclusive avec le talentueux auteur sénégalais: Babacar Ba PDF Print E-mail
Written by Patricia Turnier   
Saturday, 21 September 2013 11:17

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Babacar Ba provient du pays de Senghor. Il est né dans la région de Thiès située à 70 km de Dakar, la capitale du Sénégal. Il est trilingue à savoir qu’il parle le français, le wolof et l’anglais. Il est marié et père de famille. Monsieur Ba a fait ses études primaires à l’école Thierno Ciré Élimane Sall ex Randoulène et ses études collégiales au CEM Mamadou Diaw. Il a fréquenté par la suite le lycée Malick Sy où il a obtenu son baccalauréat de la série C.

Entre 1994 et 1998, il a étudié à la faculté des sciences de l’université de Dakar où il a obtenu une maîtrise en sciences physiques. Admis au concours d’entrée à l’école Inter états des ingénieurs de l’équipement rural (EIER) d’Ouagadougou, il a eu une bourse de la coopération française pour compléter au Burkina Faso durant l’an 2000 un diplôme postuniversitaire en informatique appliquée aux sciences de l’eau.

Il s’est rendu après en France pour étudier à l’université d’Angers où il a obtenu en 2004 un master 2 en optoélectronique et traitement du signal. Babacar Ba a poursuivi son cheminement académique à Montréal. Il a fréquenté l’école de technologie supérieure (ETS) de l’UQAM où il a eu une maîtrise en ingénierie dans le domaine de la gestion des télécommunications en 2009.

Babacar Ba travaille actuellement en tant qu’analyste en informatique à l’agence de la santé et services sociaux de l’Outaouais. Il a aussi entre autres exercé la profession d’enseignant en informatique à l’école supérieure d’informatique et de management de Thiès au Sénégal en 2001. En sus, il a travaillé comme consultant chez IBM Canada et en tant qu’administrateur de réseau pour la compagnie Tree Technologies à Laval (au Québec). De plus, en œuvrant dans le domaine de la technologie et des services de l’information en 2008, il a eu comme clients: la Banque Nationale, la Banque Laurentienne, etc.

Babacar Ba est l’auteur d’un roman-témoignage intitulé Leurres et lueurs de l’émigration qui traite notamment du parcours migratoire de Birima Wade, le personnage principal pouvant évoquer l’émigré typique africain ayant doublement immigré, plus précisément en France pour se retrouver ensuite au Canada.

Il importe tout d’abord de contextualiser la situation économique des migrants particulièrement ceux issus des minorités dites visibles au Canada. Ainsi, selon l’IRIS (Institut de recherche et d’informations socio-économiques), en 2006, 51 % des immigrants très récents (25-64 ans), c’est-à-dire ceux établis depuis moins de 5 ans, avaient un grade universitaire comparativement à 19% pour les gens nés au Canada. Dans ce pays, toujours selon l’IRIS1 malgré des niveaux de scolarité plus de deux fois supérieurs à ceux des natifs, le portrait socio-économique des immigrants et notamment celui des personnes « racisées » est marqué par une situation d’iniquité sociale avec des revenus d’emploi inférieurs. En 1980, les nouveaux immigrants au Canada gagnaient en moyenne 85 % du salaire moyen des natifs; cette proportion avait diminué significativement soit 63% en 2005.

Le taux de chômage général au Canada était de 5,5% en 2011, celui des immigrants européens revenait à 9,4% à leur arrivée et était de 5,2% après 10 ans au pays tandis que celui des gens originaires de l’Afrique se situait respectivement à 21,3 % et à 9,1 %. En sus, selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), «la situation tend à être encore plus préoccupante pour les immigrants détenteurs d’un diplôme universitaire de certaines «minorités visibles», telles que les Noirs et les Arabes particulièrement, dont les taux de chômage, même après 10-15 ans d’installation, sont de 10,2 % et 10,5 % respectivement, soit plus de 3 fois supérieurs à celui des natifs du Québec détenteurs d’un diplôme universitaire (3,1 %) »2. D’après le Conference Board3, les employeurs ne tireraient pas pleinement avantage du potentiel des immigrants. Trois obstacles à leur intégration sur le marché du travail ont été ciblés: le manque de reconnaissance des compétences étrangères, la mauvaise application des politiques d’intégration et la discrimination (systémique, etc.) sur le marché du travail. Selon la banque RBC (Banque Royale du Canada) et l’IRIS, si les compétences des immigrants (et de leurs enfants) étaient récompensées de la même manière que le sont celles des natifs, le revenu total des migrants au Canada s’accroîtrait de 30,7 milliards de dollars (il y aurait 370 000 travailleurs de plus), soit 2,1% du PIB sans compter la main-d’œuvre hautement qualifiée dont l’ensemble de la population pourrait bénéficier.

Le livre de Babacar Ba est très intéressant et réellement touchant car il couvre divers thèmes cruciaux comme: : le stoïcisme, la dignité dans l’adversité, la difficulté pour plusieurs Afro-Antillais de trouver un travail valorisant, stable et bien payé en Occident qu’ils soient immigrants ou pas et quelles que soient leurs compétences et/ou qualifications (une conjoncture que nous venons de décrire) bref il s’agit du phénomène de déqualification professionnelle et l’exploitation pouvant entraîner le travail clandestin. L’auteur expose dans son ouvrage les évictions subies en raison des problèmes économiques, la violence économique, le racisme, l’islamophobie, la fourberie et les subterfuges rencontrés par le travailleur migrant même au niveau syndical, la criminalisation des Afro-Antillais (menaces d’expulsion, etc.) souhaitant trouver un meilleur avenir à l’étranger. Il serait souhaitable que Leurres et lueurs de l’émigration devienne un jour un film car des problématiques très importantes sont soulevées et on voit rarement ces thèmes traités dans des longs métrages. Le livre devrait être aussi traduit en plusieurs langues incluant le wolof et l’anglais. L’ouvrage fait partie de notre top 20 pour l’été 2013: http://www.megadiversite.com/livres/153-le-top-20-des-livres-pour-lete-2013.html.

L’auteur relate dans son roman-témoignage les différentes étapes d’une émigration complexe, remplie d’embûches à traverser. Birima, jeune sénégalais et ancien talibé issu d’un milieu défavorisé, est confronté à un manque d’opportunités professionnelles après avoir fait de brillantes études. Se sentant victime d’un système népotique dans son pays, il fait le choix, comme plusieurs jeunes de son âge, d’essayer l’émigration. Contrairement à ce que beaucoup d’entre eux croient, la migration vers l’Occident n’est pas l’eldorado pour tout le monde. Dans le contexte structurel et économique mondialement repensé, les nations occidentales embrassent une nouvelle conception des rapports nord-sud. Pour limiter les flux migratoires, les pays du Nord ont créé des barrières quasi-insurmontables pour les plus démunis du Sud. L’auteur, dans un langage authentique, explique sans gêne l’aventure à la fois agitée, parfois dangereuse et très instructive de Birima, un personnage courageux, débrouillard (il était adulte dès l’âge de trois ans car il a dû commencer à travailler très jeune), résilient et déterminé. Babacar Ba lance un message pour prévenir et mettre en garde la jeunesse africaine très portée à rêver d’édens lointains.

L’auteur fait part des codes culturels sénégalais, français et québécois dans son ouvrage. Il faut avoir beaucoup vécu et compris bien des choses pour pouvoir décrire ou dépeindre aussi bien ces expériences en utilisant la plume. Le livre soulève de sérieuses questions pouvant laisser dubitatifs les futurs émigrés. L’ouvrage brise aussi un silence trop souvent tenace chez les migrants ce qui donne du pouvoir à leurs oppresseurs. L’auteur a le talent de captiver l’attention du lecteur de la première à la dernière page. Il présente continuellement la dualité de la vie, c’est-à-dire qu’on retrouve la notion binaire : vie-mort, peine-joie, etc. L’ouvrage offre donc un profond regard sur le choc culturel d’un émigré, ses observations, ses sentiments, ses découvertes et ainsi de suite. Ce roman-témoignage a le pouvoir de donner du courage et de l’espoir à ceux qui vivent des tribulations. L’ouvrage nous permet aussi de nous interroger sur notre propre vécu. Le livre est tellement intéressant qu’on n’a pas envie en tant que lecteur de le terminer. À cet égard, le récit est fascinant et le lecteur peut aisément rentrer dans la peau du personnage. Le livre a la capacité de faire vivre beaucoup d’émotions. Certains passages sont poignants comme lorsque Birima se retrouve en France sans soutien.

Il est émouvant de lire un auteur masculin partageant ses peines, déboires et joies, en d’autres mots ses émotions et observations. Ceci fait la force de l’ouvrage car il n’est pas courant de lire les pensées d’un homme qui se livre. Il est difficile de distinguer la fiction de la réalité concernant le vécu de l’auteur ce qui suscite la curiosité des lecteurs et rend davantage l’ouvrage envoûtant. Il est passionnant d’entendre la voix d’un immigrant sénégalais qui partage avec les lecteurs son parcours et ses expériences.

Il aurait été aussi intéressant que le livre expose davantage les difficultés reliées au parcours migratoire des Afro-Antillaises susceptibles de vivre à l’étranger de l’abus sexuel en étant femmes au pair à titre d’exemple. Il arrive qu’au pays d’accueil on leur confisque leurs passeports. Certains pourraient croire qu’elles sont plus vulnérables en raison d’un faible niveau d’éducation par exemple ce qui n’est souvent pas le cas. Un grand nombre parmi elles immigrant en Amérique du Nord ont une formation universitaire obtenue dans leurs pays d’origine.

En résumé, dans son ouvrage, Babacar Ba expose les diverses étapes d’une émigration complexe comprenant des obstacles à franchir. Monsieur Ba a voulu avec son ouvrage lancer un message lucide pour informer la jeunesse africaine des réalités vécues à l’étranger ce qui leur permettra de prendre des décisions plus éclairées. Le livre est un mélange de réalité et de fiction.

L’auteur reconstitue très bien le parcours migratoire notamment dans un cadre socio-économique. L’ouvrage permet ainsi de mieux saisir la réalité des émigrés et immigrants. Il soulève diverses questions cruciales comme: Que deviennent les immigrants une fois installée en Occident?  Quelle place leur réserve-t-on dans la société d’accueil notamment sur le marché du travail? Dans quelles sphères travaillent-ils et au prix de quel sacrifice?

L’auteur traite des règles mises en place en Europe (particulièrement en France) ne favorisant pas nécessairement la solidarité sociale en matière de logement, etc. auxquelles il a dû faire face en tant qu’immigrant. Le livre de Babacar Ba représente une importante contribution. Il pose un diagnostic. Il s’agit d’un immigrant qui parle des immigrants et non de quelqu’un qui parle à leur place. Nous espérons que cet ouvrage encouragera d’autres à partager davantage leurs parcours. Ainsi, certaines personnes de la diaspora cachent leurs réalités car elles ont des sentiments de honte et vivent leurs difficultés d’intégration à l’étranger comme un échec. Babacar Ba a écrit pour plusieurs émigrés et immigrants. Il représente leurs voix.

La photo sur la couverture du livre est évocatrice puisqu’elle montre de façon significative le départ du personnage principal Birima avec des couleurs vivantes représentant l’espoir d’un avenir meilleur. Birima fait preuve de témérité, de spiritualité et de détermination. Comme le personnage principal de son livre, Babacar Ba provient d’une famille modeste. L’auteur se décrit comme étant un homme courageux et persévérant. On retrouve aussi ses qualités chez Birima.

Babacar Ba est un auteur qui se présente très bien et qui s’habille fièrement malgré les difficultés vécues dans son parcours migratoire. Méga Diversité a pu observer cela lors du lancement de son livre à Montréal (organisé par les Productions Débrouil-art) qui s’est déroulé le 2 mars 2013. L’excellent modérateur Khadim Ndiaye (que vous pourrez découvrir en visionnant la deuxième vidéo figurant à la fin de l’entretien ci-dessous) a notamment présenté l’auteur et a mené l’entrevue avec brio. Des gens de renom étaient présents tels qu’Aoua Bocar Ly-Tall, la première Afro-Canadienne à avoir reçu le 15 novembre 2005 le prestigieux prix de son Excellence la très honorable Michaëlle Jean. Durant le lancement, Madame Ly-Tall était fière, rattachée à ses racines et était habillée avec les vêtements de son pays. Plusieurs jeunes hommes de la communauté sénégalaise étaient présents ce qui révèle que le livre leur a beaucoup parlé et ils se retrouvaient dans le personnage de Birima. Nous avons assisté à un débat passionnant suite à la présentation du livre. À cet égard, l’ouvrage vaut la peine d’être lu, commenté et débattu à travers le monde.

Pendant la présentation de son livre, l’auteur a soulevé des questions très intéressantes telles qu’« au lieu de quitter son pays, ne vaut-il pas mieux y rester pour voir comment régler les difficultés? ». Leurres et lueurs de l’émigration est donc un ouvrage à découvrir, à lire et à savourer, un réel délice.

Babacar Ba, un homme à multiples facettes, s’intéresse aussi aux technologies de virtualisation. Il est le concepteur de l’émission web «Douté Wala Café » (disponible sur www.wakhtane.net) qui met en vedette la diaspora sénégalaise et qui fait son bilan portant sur leur expérience d’émigration. Il a donc diffusé plusieurs articles sur Internet. Monsieur Ba est le président et fondateur de Com-Média services , une compagnie (située à Gatineau (au Québec)) qui œuvre dans le domaine du transfert de technologies et d’expertise du Canada vers l’Afrique. Babacar Ba est aussi membre de certains groupes et associations comme Africa&Middle East Telecoms, Africa Business Communities, Anciens étudiants de l’Université d’Angers, etc.

Durant ses temps libres, Babacar Ba aime jouer au soccer. D’ailleurs, son équipe a remporté la première édition du tournoi de la fraternité4 à Montréal. Il mène également plusieurs activités bénévoles afin de faciliter l’insertion des nouveaux immigrants au Canada et il travaille pour briser le mur des préjugés défavorables ce qui constitue essentiellement son cheval de bataille. Monsieur Ba se décrit comme un militant de la paix et de la justice sociale. À cet égard, Babacar Ba s’intéresse à la politique et au développement du Sénégal. Il a participé entre autres activement aux mouvements de protestation à Montréal pour l’alternance au Sénégal.

Nous avons eu le plaisir de parler à monsieur Ba le printemps dernier qui a notamment pris le temps de nous présenter davantage son livre et de partager avec nous ses observations sur ce qui peut être mis en place afin d’améliorer la situation des jeunes émigrants souhaitant suivre son chemin. La rédactrice en chef, Patricia Turnier, LL.M (Maîtrise en droit) a recueilli les propos de cette entrevue le printemps dernier.

P.T. Parlez-nous du choix et de la signification du titre évocateur de votre livre.

B.B. Concernant le titre, je dirais que l’immigration est un phénomène de société puisque le pays d’accueil et la nation que l’émigré(e) a quittée doivent gérer ce fait social. Mon titre évoque donc une dualité. Il existe une lueur d’espoir chez l’émigré qui part notamment chez les jeunes qui suivent le phénomène de la mondialisation en étant influencés entre autres par les médias. Ceci leur permet d’imaginer ce qui se passe ailleurs et de prendre connaissance du mode de fonctionnement des pays nordiques. Ils croient que leur avenir sera beaucoup plus rayonnant aux pays du Nord ce qui crée des lueurs d’espoir se trouvant à l’horizon. Cette situation les fait partir à tout prix quelles que soient les conséquences qui sont parfois terribles. Pour certains, lorsqu’ils quittent, ils ne trouvent pas ce qu’ils espéraient à l’horizon. C’est ainsi que les lueurs se transforment en leurres. Dans mon livre, le personnage principal qui part à l’aventure rencontrera de nombreux obstacles qu’il croyait inimaginables au moment où il préparait son départ. Mon titre traduit son parcours et la dichotomie vécue par Birima, le personnage principal.

P.T. Pourquoi cela a été important pour vous d’écrire votre roman-témoignage?

B.B. Cela a été important parce que je me considère comme un témoin de l’émigration et de l’immigration pour avoir vécu cette aventure. Je suis parti, en d’autres mots j’ai quitté mon pays. Pour certains qui y sont restés et qui ne comprennent pas ce qui se passe ailleurs, ce roman est pour moi une façon de leur raconter la réalité ainsi que la face cachée de l’immigration. Concernant les concitoyens du pays d’accueil, mon œuvre leur permet de constater et de saisir le parcours du combattant ainsi que les efforts d’intégration faits par la plupart des immigrants.

P.T. Merci pour l’avoir fait. Quitter son pays peut représenter un déchirement pour celui qui émigre ainsi que pour sa nation.

B.B. Absolument! Il importe que les difficultés vécues à l’étranger soient connues surtout lorsqu’il existe des gens qui perdent leurs vies ou dilapident leurs biens en quittant leurs pays. Il faut éviter de fâcheuses surprises à d’autres. Concernant ceux qui ont immigré et font donc partie de la diaspora, il s’agit d’un moyen de partager avec eux l’expérience de Birima qui leur donnera certainement un regain de courage.

À propos du pays d’accueil, mon livre représente aussi une façon de lancer le débat afin de sensibiliser les collectivités locales et de voir avec elles quels moyens peuvent être utilisés afin d’améliorer l’insertion des nouveaux arrivants. De plus, je tiens à dire aux jeunes des pays du Sud que les efforts faits à l’étranger pour réussir, si on les faisait dans nos pays peut-être que les résultats seraient les mêmes. Il est important également pour moi de véhiculer comme message aux dirigeants des pays sudistes qu’il faut soutenir et encadrer leur jeunesse parce que l’avenir de leurs nations dépend de leur juvénilité.

P.T. On apprend dans votre livre que depuis votre jeunesse vous nourrissiez le rêve de connaître le Canada. Qu’est-ce que ce pays représente pour vous?

B.B. Le Canada est un grand pays reconnu et respecté dans le monde. Dans le cadre d’une coopération internationale entre le Sénégal et le Canada, j’ai rencontré un Québécois qui travaillait dans un centre de recherche à Dakar au CRDI (un centre de recherches pour le développement international). On a discuté et il m’a donné ses coordonnées. J’étais un étudiant à l’époque. Il parlait anglais et français. Son bilinguisme m’impressionnait et j’ai pu percevoir que le Québec permettait de découvrir diverses cultures. Les échanges que j’ai eus avec cet homme ont définitivement suscité ma curiosité.

Plus tard, lorsque j’étudiais à l’université, j’ai entamé des démarches pour me rendre au Canada. À l’époque, cela a été difficile parce que je n’avais pas les fonds requis. Je me suis donc plutôt rendu d’abord en France et en travaillant, j’ai pu économiser ce qui m’a permis de réaliser mon rêve d’immigrer au Canada.

P.T. Partagez avec nous en quelques mots votre parcours d’émigrant et les vagues migratoires des Sénégalais vers l’Occident, notamment vers le Québec ainsi que la France (où l’immigration de travail a débuté dès la fin du XIXème siècle).

B.B. Je vais commencer avec mon parcours. J’ai tout d’abord été en France en 2001 (notamment pour mes études en optoélectronique, signal et imagerie dans le cadre d’un Master à l’Université d’Angers) pendant trois ans pour ensuite m’installer au Québec depuis 2005. J’ai été admis au Canada en tant que travailleur qualifié pensant que j’aurais pu trouver rapidement un bon emploi ce qui n’a pas été le cas. Je me suis débrouillé comme j’ai pu. J’ai poursuivi mes études au Québec afin d’obtenir davantage d’opportunités dans mon domaine. J’ai fréquenté l’école de technologie supérieure de l’UQAM pour faire une maîtrise en télécommunications. J’ai été en mesure par la suite de trouver un travail en tant qu’administrateur de réseaux dans le domaine de l’informatique. Globalement, mon parcours est similaire à celui de plusieurs Sénégalais vivant au Canada. De nombreux compatriotes quittent notre patrie afin de compléter leurs études et restent après au pays d’accueil. Nos études sont davantage onéreuses au Canada comparativement à la France (ce sont donc ceux issus des familles les plus nanties qui peuvent venir directement étudier au Québec). Pour cette raison, de nombreux Sénégalais vont d’abord en France où c’est moins dispendieux. Par contre, l’insertion sur le marché du travail est plus difficile là-bas. La diaspora sénégalaise a donc plus tendance à venir au Québec après pour s’intégrer professionnellement. Il existe toutefois aussi des obstacles au Québec et l’insertion n’est pas automatique. Par conséquent, nous sommes souvent obligés d’obtenir un diplôme supplémentaire. Notre parcours migratoire se caractérise donc par sa triangularité: Sénégal, France et Québec.

Concernant plus spécifiquement les vagues migratoires du Sénégal vers l’étranger notamment suite à la Deuxième Guerre mondiale, la France avait besoin de relancer son économie en attirant entre autres la main-d’œuvre africaine. On a assisté à une coopération technique où les Français enseignaient aux Sénégalais lycéens et à la fin de leurs études, certains élèves avaient la possibilité de poursuivre leurs cursus en France. Souvent, à l’époque, la majorité retournait au Sénégal (au moins 80%) afin d’occuper des postes de responsabilité.

P.T. Jusqu’à la fin de la colonisation?

B.B. Exactement! Les Français quittaient l’Afrique. La gestion des pays africains se transformait. De plus, les conditions de vie ont commencé à changer à partir de cette période. De cette façon, les gens qui quittaient le Sénégal n’étaient plus uniquement des étudiants mais aussi des personnes ne détenant pas de formation. Par contre, la majorité revenait et investissait dans le pays. Lorsque la situation économique de la France s’est améliorée, cette nation a instauré le visa. Ainsi, la rentrée en France est devenue plus réglementée notamment à partir des années 80. Au début, l’obtention du visa était simple particulièrement pour les étudiants mais après c’était devenu plus difficile pour tout le monde mais surtout pour la classe ouvrière. Durant les années 90, les conditions économiques en France commençaient à changer, les réglementations au niveau de l’immigration sont donc devenues plus strictes. Les étudiants ayant une famille riche étaient favorisés parce que cela créait une rentrée d’argent pour la France. Tout à l’heure, j’ai mentionné que 80% des Sénégalais retournaient chez eux. Maintenant, on assiste au phénomène inverse. 80% des Sénégalais restent en France en raison du manque de perspectives professionnelles dans notre pays.

P.T. J’imagine que la dévaluation du franc CFA n’a pas aidé.

B.B. Tout à fait! Cette dévaluation a été un tournant décisif. La crise économique en France s’est manifestée à ses anciennes colonies et la population a souffert davantage avec la dévaluation du franc CFA au cours des dernières années au Sénégal (et ailleurs en Afrique) ce qui a occasionné un flux migratoire encore plus important.

De nombreux jeunes sénégalais ne sentaient plus avoir d’avenir dans notre pays et la principale solution qu’ils trouvaient était de le quitter. Vu que les conditions d’obtention de visa pour la France se sont durcies, on a assisté à un nouveau phénomène (qui a débuté depuis environ 13 ans) où les jeunes laissaient mon pays sans visa en utilisant n’importe quels moyens quelles que soient les conséquences et même au péril de leurs vies (par exemple, certains sont décédés parce que leurs pirogues ont coulé). Il existe un slogan inventé par la jeunesse de ma nation, il s’agit de: « Barca (diminutif de Barcelone) ou barsak (un mot wolof qui veut dire l’au-delà) ». Ceci traduit la nouvelle réalité que je viens de décrire.

P.T. Je suis certaine que si des « success stories » à la Youssou N’Dour, ministre du Tourisme et des Loisirs au Sénégal étaient davantage médiatisés en Afrique, cela donnerait espoir à la jeunesse qu’il est possible de réussir chez eux.

B.B. Effectivement! Je crois que les efforts que l’on fait à l’étranger pour réussir, peut-être que les résultats seraient similaires si on restait chez nous. Je pense que vous soulevez un point vraiment intéressant. Nos médias devraient jouer un rôle primordial dans la promotion des valeurs et des success stories. Ces gens représentent des modèles et des références pour la jeunesse.

Les médias maintiennent l’énigme et font la promotion de l’émigration. Ils donnent l’impression que la réussite est possible pour les jeunes qu’à l’étranger. Je crois qu’il existe beaucoup d’intoxication médiatique. Il convient de faire des efforts pour combattre ce phénomène. Un rôle de veille et de réveil des consciences s’avèrent nécessaires. Concernant le parcours migratoire de mes compatriotes vers le Québec, il est plutôt récent. Comme je l’ai décrit historiquement, les Sénégalais quittaient notre pays pour l’Europe. Par contre, la crise économique mentionnée précédemment ainsi que les problèmes d’insertion de mes concitoyens sur le marché du travail, les a amenés au Québec . Depuis, les cinq dernières années il existe davantage de professionnels sénégalais qui laissent mon pays pour se rendre directement au Québec. Le parcours migratoire de mes compatriotes devient donc moins triangulaire et la plupart des Sénégalais vivant au Québec sont des universitaires.

P.T. Vous êtes environ 5000 au Québec n’est-ce pas?

B.B. Exactement! À la fin de nos études, la majorité reste au pays d’accueil. Afin de dresser brièvement l’historique du parcours migratoire de mes compatriotes, l’émigration sénégalaise a commencé en Europe. La France par exemple a dû recourir à l'immigration de travail dès la fin du XIXème siècle et plus précisément à partir des années 1880. La loi de 1889 a permis de donner la nationalité française à tous les enfants nés au pays. On a assisté à l’émigration des autres pays européens notamment en raison d’une faible démographie. Concernant toujours la France, les Polonais (durant les années 20) et les Maghrébins (pendant les années 30) ont été les principales communautés étrangères à s’y installer. On observait une immigration de proximité : les Italiens, les Espagnols et les Belges s’établissaient aussi en France. Les immigrés travaillaient dès la fin du 19e siècle pour la république essentiellement dans les compagnies minières et industrielles ainsi que dans le domaine de l’agriculture. Jusque dans les années 20, l’immigration était surtout européenne.

Il importe de souligner qu’à partir d’environ la moitié du 19e siècle, la France a eu recours aux tirailleurs sénégalais5 et algériens. La république a appelé aux fronts entre autres les tirailleurs sénégalais jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. L’Europe a aussi invité les Africains à immigrer suite aux deux guerres mondiales pour reconstruire le continent. Les deux guerres mondiales ont donc impliqué le besoin d’avoir recours aux immigrants notamment pour des raisons économiques. D’autres venaient entre autres pour des raisons politiques comme les réfugiés russes durant les années 20 ainsi que les Arméniens (ayant subi le génocide) et tel que mentionné les Espagnols (qui vivaient la guerre civile pendant les années 30 sous le gouvernement Franco).

Durant les années 20, la loi sur la nationalité de 1927 a été créée en France ce qui a entraîné une augmentation des naturalisations. Suite à la Deuxième Guerre mondiale, pour assurer la croissance économique, la France a pris des mesures pour augmenter le flux migratoire en collaboration avec d’autres pays en signant des accords avec l’Espagne, le Portugal, le Maroc et l’Algérie. À partir des années 60, de nombreux Maghrébins venaient (suite à la décolonisation) et en 1975, ils représentaient 39% des migrants en France. À partir de 1974, la France a mis en suspens l’immigration en raison de l’accroissement du chômage. En 1976, la politique du regroupement familial a été créée. Pendant les années 80, on a assisté à la régularisation des travailleurs ne possédant pas de papier. Durant la décennie suivante, plusieurs immigrants ont été touchés par le chômage en France et souvent ceux qui travaillaient étaient concentrés dans des emplois sous-payés. Les Africains (incluant les Maghrébins) sont plus particulièrement confrontés à des difficultés discriminatoires. À partir de 1981, il y a eu des émeutes dans les banlieues jusqu’en 2009. Durant les années 2000, il est devenu beaucoup plus ardu d’obtenir un visa et les émigrés étaient prêts à partir par n’importe quel moyen tel que cela a été mentionné auparavant. L’immigration a provoqué un exode des cerveaux pour les pays sudistes les rendant plus vulnérables y compris le Sénégal.

Concernant encore les années 90, divers événements ont eu lieu et/ou se sont accentués au début de cette décennie tels que la chute du mur de Berlin, la mondialisation, la diminution du coût de transport, les impacts de la décolonisation. Ces situations ont créé plusieurs vagues migratoires que ce soit de l’Europe de l’Est, de l’Afrique ou de l’Asie.

Pour résumer, le parcours migratoire sénégalais (durant la période contemporaine) était au départ davantage volontaire. Un visa n’était pas nécessaire pour quitter. Mes compatriotes partaient entre autres avec des bourses et revenaient toujours au pays pour contribuer. Il s’agissait d’une émigration réfléchie, organisée et préparée. Maintenant, le Sénégal incite les jeunes à se sentir obligés de quitter puisque les politiques nationales ne favorisent pas le développement économique et encore moins le développement intellectuel . Ceci crée une fuite des cerveaux et une perte incommensurable pour la nation. Maintenant, le Sénégalais qui quitte son pays risque d’avoir à faire face à un chemin complexe, tortueux et contraint de rester à l’étranger.

P.T. Vous avez mentionné lors de la présentation de votre livre à Montréal le 2 mars dernier qu’il était important pour vous en tant qu’auteur de faire la distinction entre les vocables suivants: immigration et émigration. Pouvez-vous élaborer davantage là-dessus?

B.B. Souvent, les gens ne font pas du tout la différence entre ces termes. Par exemple, concernant le titre de mon livre, il arrive que des personnes prononcent le mot immigration au lieu d’émigration. Je voulais donc attirer l’attention sur ce sujet. L’aspect sémantique est vraiment important. L’immigration représente le fait de vivre dans un nouveau pays, généralement pour y travailler. En d’autres mots, l’immigration est le phénomène inverse de l’émigration. On vit dans notre pays et on y reçoit des gens qui viennent pour s’installer. L’émigration est le fait de quitter son pays d’origine pour s’établir dans un autre, temporairement ou définitivement. L’exil consiste à être expulsé de son pays, dans cette situation on est donc contraint à partir. Il existe ainsi des nuances importantes entre ces différents termes. On ne peut faire des amalgames.

Le choix du terme « émigration » pour le titre de mon livre était donc approprié parce que le personnage principal quitte son pays pour découvrir des horizons qui lui sont inconnus et c’est ainsi que des lueurs d’espoir (alimentées entre autres par les médias) naissent. Une fois arrivé sur le terrain, il découvre la réalité et de cette façon des leurres apparaissent.

P.T. Votre ouvrage est un roman-témoignage. Partagez avec nous les principaux faits fictifs et réels sans trop dévoiler la trame de l’histoire.

B.B. Un pourcentage important des faits est réel. Je ne peux m’avancer sur le décryptage des événements réels et fictifs. À travers Birima, j’ai voulu présenter l’émigré sénégalais moderne. La plupart de mes compatriotes qui ont quitté notre pays ont un parcours semblable. Plusieurs Sénégalais qui ont lu mon livre, se sont retrouvés dans le personnage de Birima. On m’a fait des témoignages où l’on m’a confié qu’à 60% le parcours de Birima était analogue à leur trajet de vie. J’en conclus que pour plusieurs, Birima représente le prototype de l’émigré.

P.T. Vous soulevez dans votre ouvrage diverses problématiques vécues par les émigrants. Qu’est-ce qui peut être mis en place pour faciliter l’arrivée d’un émigrant étudiant et tout simplement d’un émigré en Occident?

B.B. Les pays du Sud ayant une forte émigration, doivent s’organiser davantage. En prenant le cas du Sénégal, l’émigration est bénéfique parce que la diaspora fait rentrer un montant très important d’argent au pays et crée une certaine stabilité chez nous. Le Sénégal doit mieux aider le ressortissant installé à l’étranger. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, mon pays a les moyens de le faire. Il suffit d’avoir la volonté politique d’agir. Il existe un ministère responsable des Sénégalais de la diaspora mais son rôle doit être bien défini. Il importe que l’émigration soit considérée comme un facteur et une composante du développement. Ce ministère devrait s’assurer que les immigrants déjà établis soutiennent ceux qui arrivent puisqu’un bon nombre d’entre eux sont très éveillés et sont des intellectuels expérimentés dotés d’idées de développement. Ensemble, nous pouvons trouver des solutions afin de faciliter l’existence de nos compatriotes à l’étranger. C’est ce que font les Chinois et d’autres nations qui ont créé des politiques claires ainsi que des objectifs bien définis permettant à leurs pays de bénéficier de l’émigration. Une jonction devrait avoir lieu. Personnellement, je n’ai jamais senti l’existence de ce ministère. Il n’est pas réellement visible.

P.T. Dans votre livre, ce qui m’a le plus touchée dans la narration c’est lorsque Birima arrive en France et passe la nuit dehors en plein hiver parce qu’il n’a nulle part où aller. S’agit-il d’une situation fictive ou réelle?

B.B. [Silence] C’est ce qui m’est arrivé.

P.T. Ce genre de situation ne devrait jamais se produire surtout pour les étudiants ce qui était votre cas. C’est inacceptable!

B.B. Tout à fait! Je crois aussi que les pays d’accueil doivent faire davantage d’efforts en matière d’insertion socio-économique parce qu’à long terme l’immigration est bénéfique pour leurs nations. Par exemple, lorsque le pays d’accueil fait venir un médecin ou un ingénieur, une structure d’intégration professionnelle (comprenant des stages, etc. en collaboration entre autres avec les ordres professionnels) doit être mise en place afin de leur permettre d’exercer la carrière pour laquelle ils ont été formés sinon une déqualification professionnelle se produit ce qui représente une perte pour l’ensemble de la société.

P.T. Je pense que c’est ainsi que le mot « leurre » prend tout son sens dans votre titre.

B.B. Tout à fait!

P.T. Avez-vous une idée de ce qui pourrait être mis en place pour faciliter l’intégration des étudiants aux pays d’accueil?

B.B. Je crois que cette responsabilité revient aux ambassades qui ont le devoir de soutenir les ressortissants et les étudiants moins fortunés. Une infrastructure devrait être mise en place à leurs niveaux afin de faciliter l’insertion des étudiants. Le rôle des ambassades ne doit pas être uniquement symbolique ou rhétorique. Les nouveaux arrivants ont besoin d’un soutien concret et pragmatique au niveau de l’hébergement, de la compréhension de leur nouveau milieu de vie, etc.

P.T. Votre personnage principal dans votre roman Birima est très débrouillard quelles que soient ses difficultés. Pensez-vous que la richesse et la pauvreté sont un état d’esprit?

B.B. [Silence] Jusqu’à un certain point, il y a un fond de vérité par rapport à cela. Si on manque de force et de courage, on peut facilement basculer de la richesse vers la pauvreté sur le plan pécuniaire. Si on n’est pas éduqué, on peut avoir tout l’argent du monde et le perdre parce qu’on n’a pas eu les connaissances afin de faire des investissements judicieux, etc. Il est connu que souvent à la troisième génération la fortune d’une riche famille peut disparaître. Je crois donc qu’il est très important d’avoir des connaissances. Nelson Mandela a dit que l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde. Ceci est vrai autant au niveau individuel que collectif. Un peuple non éduqué sera facilement exploitable et manipulé.

Il est certain que cela aide de provenir d’un milieu nanti parce que souvent dans cet environnement on a plus facilement accès à des opportunités via les contacts, etc. Par conséquent, lorsqu’on est pauvre pour quitter ce milieu social on doit faire davantage d’efforts ce qui demande beaucoup de courage et de détermination. Si on est riche et on n’est pas outillé pour savoir quoi faire afin de maintenir cette fortune ou de la faire prospérer il existe un risque de perdre ses avoirs.

La vraie richesse de la vie est un bon état d’esprit. Je parle de la résilience permettant de pouvoir rebondir aisément malgré nos obstacles. Je compare la vie aux vagues de la mer où l’on voit les jours venir mais on ignore ce que les vagues charrient. On le sait seulement lorsqu’elles déversent sur nos pieds. Cela représente ma conception de la vie faite de hauts et de bas. Ainsi, lorsque l’on vit des hauts il faut se préparer pour les moments difficiles. Et lorsque l’on vit des bas, on doit avoir un fort état d’esprit pour les surmonter. La persévérance, la détermination et la résilience représentent donc pour moi les réelles richesses de la vie. Birima est l’exemple parfait de cela. Depuis sa jeunesse, il a rencontré de nombreuses difficultés qui représentent pour lui des étapes de la vie qui sont des défis à relever. Il arrive toujours à trouver des solutions quels que soient les obstacles. Il a beaucoup de ressources intérieures. Il est aussi très croyant ce qui constitue une grande force pour lui.

P.T. Je crois aussi que la santé est la plus grande richesse et cela ne s’achète pas. L’avenir est devant nous quand on a la santé.

B.B. Tout à fait! Pour résumer et clore la réponse à votre dernière question, si on a accès à l’argent mais on n’a pas la sagesse ni la connaissance pour l’obtenir, une fois que le montant est dépensé ou n’est pas investi judicieusement nous le perdons. Le roi Salomon réputé pour être le monarque le plus sage de tous les temps savait cela. Il savait que pour nourrir un peuple à long terme, il fallait lui apprendre comment chasser et/ou pêcher. Il faut que la population puisse être outillée afin de ne plus avoir faim.

P.T. Ce n’est pas pour rien que l’on dit « la main qui reçoit est toujours en dessous de celle qui donne ». En d’autres mots, il ne faut pas être dépendant.

B.B. Exactement!

P.T. J’ajouterais que le défunt John H. Johnson (le grand entrepreneur afro-américain qui a bâti le magazine noir numéro 1 au monde Ebony avec seulement quelques centaines de dollars au départ dans les années 40) disait que la richesse est une question de savoir et de choix. Il pensait aussi qu’il fallait tracer la route de notre vie sinon ce sera quelqu’un d’autre qui le fera. Selon Johnson, lorsqu’on investit dans sa personne, on n’est jamais perdant.

B.B. C’est un point de vue réellement intéressant!

P.T. Comment vos lecteurs sénégalais de votre pays et de la diaspora ont accueilli votre ouvrage? De plus, comment les Afro-Antillais, les Français et les Québécois ont perçu votre livre?

B.B. L’ouvrage a très bien été accueilli. J’ai reçu d’excellentes appréciations. Les perceptions chez les Afro-Antillais et les Africains (incluant les Sénégalais) étaient similaires. Ils l’ont trouvé intéressant et instructif notamment ce qui touche l’immigration, les aléas, les thèmes entourant la philosophie de la vie, etc. Je crois que l’état d’esprit de Birima qui est particulièrement résilient, positif et rigoureux devrait être appliqué aux états africains. Birima compte sur ses propres forces pour aller de l’avant et les états africains doivent suivre ce chemin. J’ai reçu beaucoup de commentaires de mes lecteurs en ce sens. Les Sénégalais qui ont été surpris, sont ceux n’ayant jamais quitté le pays. Le fait que certains Sénégalais vivant à l’étranger ne partagent pas leurs réelles conditions de vie maintient l’illusion de la parfaite intégration socio-professionnelle.

Concernant les Français et les Québécois, ils ont été stupéfaits et désolés. Certains ont dit qu’ils ignoraient les dessous de l’émigration et de l’immigration. Des collègues m’ont confié qu’ils ont trouvé Birima extrêmement courageux et spécial. Ils ont ajouté qu’ils trouvaient regrettables la gestion socio-politique et économique des émigrés au niveau du pays d’accueil. Je crois que cela concerne aussi l’ensemble de la population. On peut questionner par exemple le fait que le directeur d’une société mettra de côté le CV d’un Arabe ou d’un Africain malgré ses compétences. Le coût économique et humain de ce genre de décision arbitraire peut être vraiment énorme.

P.T. Il existe des chauffeurs de taxi qui pourraient diriger un hôpital. Selon l’IRIS, il serait judicieux au Québec de s'inspirer de l'Ontario, où une agence d'évaluation (le WES) procède à des équivalences standardisées bénéficiant d'une grande autorité.

B.B. Exactement! C’est tout à fait probable car on en croise des médecins. De toutes les façons, on ne le dira jamais assez, le Québec doit redoubler d’efforts en matière d’insertion des immigrants. Il y a de plus en plus une frustration exacerbée parmi les communautés immigrantes. La situation à l’étranger peut être très difficile et même parfois périlleuse. Par exemple, récemment, des Sénégalais clandestins en Espagne ont été tués et/ou emprisonnés. On injecte à certains des sédatifs dans les centres de détention et cela peut causer des effets dévastateurs comme l’impuissance.

Concernant mon roman-témoignage, certains de mes lecteurs (surtout ceux qui sont restés au pays) ont pensé que j’ai exagéré la situation de Birima ce qui n’est aucunement le cas. Le fait que certains membres de la diaspora leur jettent de la poudre aux yeux lorsqu’ils vont au Sénégal ne facilite pas la situation. Pour conclure, le continent africain est riche et nos nations doivent apprendre à compter sur leurs propres forces pour aller de l’avant. Je souhaiterais que ce soit le message principal que l’on puisse tirer de mon roman-témoignage.

P.T. Quelle évaluation faites-vous de votre intégration socio-professionnelle au Québec? En d’autres mots, quel est votre bilan?

B.B. [Silence] Globalement, mon bilan est positif. Mon parcours m’a permis d’apprendre beaucoup de choses sur la vie comme les différences culturelles et la diversité au niveau des conceptions. Ce que je croyais être la réalité peut représenter autre chose ailleurs dans le monde. J’ai su rendre positif pour moi le leurre de l’eldorado qui n’est pas la réalité pour tout le monde quelles que soient les origines. Ce qui n’a pas été rose est devenu pour moi des leçons de vie. Malgré les obstacles rencontrés, je suis satisfait de mes réalisations professionnelles. J’apprécie ma stabilité et j’ai ma famille. Je me suis donc créé une vie ici. Mon prochain défi consiste à m’impliquer pour que ma communauté soit plus visible culturellement au Québec en faisant découvrir aux autres son apport et sa richesse. De plus, comme je l’ai mentionné ma diaspora doit davantage être organisée pour éviter que les nouveaux arrivants vivent les mêmes difficultés d’insertion que leurs aînés. Le diagnostic a été posé depuis longtemps. Progressivement, nous devenons plus nombreux alors il n’y a pas de raison pour qu’on ne se structure pas davantage.

P.T. Le livre soulève de sérieuses questions pouvant laisser dubitatifs les futurs émigrés. Avant le départ de vos compatriotes en terres étrangères quels mécanismes devraient être mis en place afin de bien préparer leurs parcours migratoires?

B.B. L’objectif de mon roman-témoignage était de mettre en doute l’idéalisation de l’émigration. J’ai donc présenté par le biais du personnage de Birima les diverses problématiques pouvant être rencontrées à l’étranger. Il importe que mes compatriotes soient bien renseignés afin d’être en mesure de faire des choix éclairés. La mise en place de séances d’information est capitale. Ceci permettrait aux Sénégalais de connaître les conditions climatiques de leurs futurs pays d’accueil, des us et coutumes, les codes culturels, etc. Il faut des mécanismes offrant une collaboration entre la diaspora et les nouveaux arrivants afin d’alléger les difficultés d’intégration. La même chose doit se produire pour les autres communautés culturelles.

P.T. Il faut briser aussi leur isolement.

B.B. Tout à fait!

P.T. Vous avez mentionné que la fuite des cerveaux dans les pays du Sud, y compris le Sénégal ne favorise pas le développement à long terme de ces nations. Par exemple, en Jamaïque pour garder un médecin, le pays doit en former cinq parce que les autres vont vers les nations du Nord. Cette situation a lieu dans plusieurs autres pays du Sud. Que proposez-vous pour qu’il y ait des mesures incitatives permettant aux citoyens de rester dans leurs pays?

B.B. À l’époque de la mondialisation, la situation est devenue plus difficile mais je crois qu’il est toujours possible de trouver des moyens pour résoudre le problème que vous venez de souligner et qui coûte très cher aux pays du Sud. Par exemple, ces nations peuvent faire signer des ententes aux étudiants qui ont obtenu une bourse (leur permettant de se rendre à l’étranger) pour qu’ils s’impliquent minimalement pendant un an afin de donner du temps et de faire partager leurs connaissances à leurs patries. À long terme, la diaspora notamment les retraités peuvent accorder un ou deux mois par année en donnant des cours d’informatique par exemple ou en offrant des séminaires dans plusieurs domaines à leurs compatriotes. Il est tout à fait possible de mettre en place une logistique efficace afin que cela se concrétise. Je crois qu’il est surtout question d’avoir une réelle volonté pour créer un plan d’action et l’exécuter.

P.T. Vous avez soulevé la problématique de la double-culture vécue par les enfants des parents immigrants. Pouvez-vous élaborer ce sujet?

B.B. Sur le plan culturel, Senghor en parlait. On dit souvent de cet érudit qu’il possédait une culture double : d’une part celle qu’il a reçue et d’autre part celle qu’il a acquise en étudiant le latin, le français, etc. On observe d’ailleurs que son œuvre poétique forme une essence synthétique des cultures africaine et européenne. En contexte d’immigration, le problème qui se pose est que nos enfants n’ont pas la même culture. Au fait, ils adoptent une culture différente de leurs parents. Ces derniers doivent s’adapter et éviter d’imposer leurs valeurs à leur progéniture tout en faisant en sorte que leurs enfants ne soient pas acculturés. Cela demande beaucoup de discernement et de doigté.

P.T. Il existe des études sociologiques démontrant que cela prend trois générations pour qu’il y ait une réelle adaptation (qui n’est donc pas du tout automatique) suite à une immigration car les descendants sont susceptibles de se sentir tiraillés entre le pays d’origine et le pays d’accueil.

B.B. C’est vraiment intéressant! Je crois qu’il importe pour nos enfants de ne pas perdre contact avec leurs racines et on doit faire en sorte qu’ils visitent leurs pays d’origine afin de maintenir les liens avec leurs familles. Je pense que cela constitue une façon intéressante d’obtenir un équilibre sain.

P.T. Parlez-nous de votre futur livre: Affaires de viol au Sénégal: La plaidoirie de l’internaute.

B.B. Le livre sera un mélange de réalité et de fiction. Il focalisera sur les viols qui ont eu lieu au Sénégal en analysant les origines et les facteurs sociaux provoquant cette situation. À titre d’exemple, beaucoup de personnes peuvent être confinées dans la même maison dans mon pays d’origine ce qui est susceptible d’occasionner des situations fâcheuses. De plus, dans certaines écoles, il existe des rapports louches entre des professeurs véreux et des étudiantes dont certaines cèdent en raison de la pauvreté. D’autres sont mariées de force (ce qui représente une autre forme de viol) à un très jeune âge pour tenter d’échapper encore une fois à des conditions économiques difficiles. Ceci crée un engrenage puisque n’étant pas éduquées, elles n’échapperont pas aisément à leur précarité. J’apporterai aussi une lumière en focalisant mon attention sur les réactions des internautes et la jurisprudence.

P.T. Je vous remercie pour cette entrevue fort intéressante et je vous souhaite beaucoup de succès pour vos œuvres.

 

Le livre est disponible à www.amazon.ca et .fr. On peut aussi le trouver en version numérique.

Extrait de Leurres et lueurs de l’émigration:

« Une semaine s’était écoulée et enfin vint la date fatidique d’obtention des résultats du visa. Birima en ne disant rien à personne se rendit sereinement à l’ambassade. Sur place, les candidats au voyage faisaient le rang depuis le petit matin. Il rejoignit la file dans l’attente de son tour. Cette fois, il faisait face à une autre préposée qui l’interpella :

-Monsieur, donnez-moi vos noms et prénoms s’il vous plaît.

-Birima Wade.

Elle interrogea son ordinateur puis lança à Birima:

-Monsieur, c’est refusé.

-Pourquoi Madame? lui répondit-il.

-Le dossier est incomplet.

Au moment où il s’entretenait avec elle, les personnes derrière lui, sans doute emportées par le stress, commencèrent à s’impatienter visiblement. La tension dans la salle était au plus haut et la pression mise sur lui montait d’un cran, du fait de ce refus mal justifié apposé sur le passeport qu’elle lui retourna. Il ressortit furieux et rempli d’amertume. Dans la rue, Birima, d’un pas lent marchait comme s’il traînait un lourd fardeau. Ses yeux orientés vers le ciel, il pensait.

Il revivait dans ses pensées tous les efforts fournis pour constituer ce dossier, ses nombreux déplacements, ses grandes espérances, la première préposée qui lui avait assuré que le dossier était complet. Tout cela l’exaspérait et l’atteignait profondément et il commençait à voir la vie différemment. Il croisait dans son propre pays des citoyens d’autres nations, de différentes couleurs, qui s’y établissaient ou le visitaient sans visa et sans avoir de compte à rendre. Les conditions d’établissement sont si souples que même des pervers ou encore de dangereux criminels provenant d’ailleurs, peuvent fouler ce sol tous les jours sans être inquiétés. À l’inverse, les règles d’immigration sont si rigides que de jeunes ambitieux bien formés, en quête de savoir à l’autre bout du monde, sont souvent refusés sous de fallacieux prétextes.
Birima pensait à une révision immédiate des rapports avec les pays développés, mais ne jouissait d’aucune forme d’autorité, ni de prérogatives allant dans ce sens. Son mal était si profond qu’il ne se retenait plus en pensées aussi révolutionnaires les unes que les autres. Il était hors de question qu’il capitule devant cette injustice inqualifiable à ses yeux.

À ce point, il était prêt à tout pour se faire entendre. Il lui fallait trouver un moyen de retourner à l’ambassade fulminer sa colère. Ainsi, après avoir bien évalué les risques prévisibles, il décida de réintroduire le même dossier « incomplet ». Il devait être édifié davantage sur les réels motifs de ce refus. Mais comment faire? Sur cette idée, il prit son mal en patience en appelant pour une autre date de rendez-vous, qui ne tarda pas à arriver quelques jours plus tard. »

 

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1 sources : http://fr.slideshare.net/okedy2/note-iris-lintgration-des-immigrantes-au-qubec, http://www.iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2012/11/Note-immigration-web.pdf
2 source : EID, Paul, Mesurer la discrimination à l’embauche subie par les minorités racisées: résultats d’un «testing» mené dans le grand Montréal, CDPDJ, mai 2012, p. 8. Pour plus d’informations : http://www.cdpdj.qc.ca/publications/etude_testing_discrimination_emploi.pdf.
3 source : CONFERENCE BOARD OF CANADA, Immigration, http://www.conferenceboard.ca/topics/immigration/default.aspx
4 La communauté sénégalaise organise chaque été depuis 2009 un grand tournoi de soccer à Montréal intitulé tournoi de la fraternité. L’équipe de Laval (pour laquelle monsieur Ba a joué) a gagné en 2009.
5 Les tirailleurs sénégalais représentent un corps de militaires appartenant à l'Armée coloniale constitué au sein de l'Empire colonial français en 1857. Il s’agissait d’un principal élément de la « Force noire » qui a disparu au début des années 60.