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Critique du livre: Le bilinguisme un atout dans son jeu PDF Print E-mail
Written by Patricia Turnier   
Friday, 03 October 2025 13:49

Le bilinguisme un atout dans son jeu est un ouvrage écrit dans un français impeccable par l’orthophoniste Agathe Tupula Kabola.  Il s’agit d’une deuxième édition récemment mise sur le marché.  Le livre a été préfacé par la journaliste et animatrice Sophie Fouron.  L’ouvrage traite principalement du bilinguisme chez les enfants, y compris ceux présentant des troubles du langage.  Il démystifie plusieurs croyances erronées. 

À titre d’exemple, l’orthophoniste a détrompé un point très important:  il n’est pas souhaitable, une fois que l’enfant entre à l’école ou commence à fréquenter une garderie, de changer la langue parlée à la maison dans le but de faciliter l’enseignement de la langue majoritaire.  Il est recommandé que l’enfant apprenne adéquatement la langue maternelle que les parents maîtrisent.  Au demeurant, on dit que les premiers enseignants sont les parents.

L’auteure explique aussi qu’un enfant ayant un trouble développemental du langage est capable d’étudier une deuxième langue et que cette démarche ne diminue aucunement son niveau d’habileté pour la première langue.   Connaître plusieurs langues élargit la vision du monde et fait en sorte qu’on n’a pas une pensée unique ou un ethnocentrisme.
 
Le livre contient plusieurs exemples situationnels permettant de guider les parents afin de savoir selon l’âge de l’enfant quels sont les signes semblant révéler un trouble dans le développement du langage.
 
Il est très intéressant que dans la 2e édition, l’auteure et Sophie Fouron qui a préfacé le livre mentionnent avoir souhaité connaître la langue de leurs pères.  Dans la plupart des nations, la transmission linguistique et dans un sens plus large culturelle se fait notamment par la mère.  Idéalement, les enfants seraient plus riches si les deux parents transmettaient leurs langues maternelles.  Le livre de l’orthophoniste démystifie le fait que les enfants peuvent être confus en apprenant plusieurs langues.
 
L’orthophoniste donne plusieurs méthodes intéressantes dans son livre pour les parents afin qu’ils puissent transmettre leurs langues à leurs enfants :  raconter des histoires dans la langue du pays d’origine en lisant des livres pour enfants, regarder des films et discuter ensuite de ce qui a été vu, écouter de la musique, chanter dans leur langue maternelle des comptines, etc.
 
Il importe de mentionner que l’autrice est consciente que cela peut être un défi d’enseigner une langue à l’enfant qui n’est pas valorisée dans l’environnement dans lequel il évolue car malheureusement, on a créé des hiérarchies parmi les langues, les cultures et les traditions (des nations pratiquent l’hégémonie et l’impérialisme culturels).  On ne peut donc nier cette réalité qui est susceptible d’avoir un impact identitaire chez l’enfant.
 
Les parents doivent ainsi être conscients qu’il existe malheureusement un classement socialement construit entre les langues.  Par exemple, l’auteure explique qu’en Amérique, l’anglais est souvent mieux valorisé que l’espagnol, qui est associé par certains à un niveau socio-économique moindre.  En sus, à mon avis, les États-Unis prônent davantage l’assimilation comparativement au Canada qui a adopté sa politique du multiculturalisme en 1971.  Les parents doivent donc s’interroger sur l’aspect affectif qu’ils ont pour leurs langues maternelles et sur le rôle que cela joue ou pas dans la transmission à la génération suivante de leurs familles.
 
L’auteure informe les lecteurs qu’il existe des pays valorisant d’autres langues dès la maternelle.  Par exemple, en 1980, la Grande-Bretagne a mis sur pied un programme éducatif visant la sensibilisation chez les enfants sur la diversité linguistique de manière ludique.
 
Les choix ne sont pas toujours faciles pour les enfants lorsqu’il s’agit d’apprendre une langue supplémentaire.  Par exemple, j’avais fait un tour guidé au quartier chinois de Montréal, et une guide nous avait dit qu’elle n’aimait pas durant son enfance être obligée de fréquenter l’école de sa communauté les samedis.  Toutefois, plus tard elle a énormément apprécié de maîtriser le chinois car elle a saisi l’importance identitaire de cette démarche.  En outre, les tours guidés lui permettaient de partager sa culture avec autrui.   Elle nous a dit également qu’elle comprenait l’écriture partout quand elle visitait sa famille en Chine.   Elle a pu ainsi maintenir des liens plus forts avec sa famille élargie.  Il importe donc que les parents expliquent à leurs enfants les avantages des efforts qu’ils ont à fournir pour maîtriser les langues maternelles de leurs parents.
 
Plusieurs termes importants sont expliqués dans l’ouvrage, comme l’acculturation, un enfant monoculturel, un enfant bilingue biculturel, etc.  Cela permet de traiter de la panoplie de contextes dans lesquels plusieurs enfants d’immigrants évoluent dans les sociétés d’accueil.  On retient surtout de l’orthophoniste dans ses écrits qu’il n’est pas nuisible pour un enfant de connaître plusieurs langues.  Il s’agit plutôt d’un enrichissement.  L’auteure explique que le bilinguisme favorise la réussite scolaire, la confiance en soi, l’empathie et les habiletés cognitives.  L’apprentissage, notamment de sa langue maternelle, lui permettra d’acquérir une base solide au niveau identitaire, au lieu de créer des clivages culturels surtout entre l’enfant et les membres de sa famille.  En sus, selon moi, les enfants ont beaucoup moins de barrières mentales pour apprendre des langues.   En effet, l’auteure a mentionné qu’avant 6 ans, les enfants possèdent une plus grande capacité intuitive d’apprendre une langue.  L’orthophoniste recommande évidemment que l’enseignement et la maîtrise de la langue majoritaire du pays d’adoption ne doivent pas être négligés.
 
L’auteure traite aussi de la réalité québécoise concernant l’apprentissage de l’anglais et du français pour les enfants, incluant le contexte juridique (la loi 101 et 96).
 
Les défis que les enfants immigrants vivent notamment dans le cadre de la scolarisation sont présentés dans le livre.  Des informations pertinentes y figurent, comme la durée moyenne de la maîtrise de la langue du pays d’accueil par les enfants allophones.  Il est très intéressant que l’auteure donne des informations adaptées à la culture des enfants lors des interventions en orthophonie.  Par exemple, elle explique qu’il importe d’identifier si l’enfant est issu d’une culture collectiviste ou individualiste car les stratégies à adopter ne seront pas les mêmes.  On doit tenir compte des différences sociolinguistiques… dans lesquelles l’enfant évolue.  On apprend aussi que les professionnels doivent être très prudents en ce qui a trait au choix des tests d’évaluation pour éviter de faire des conclusions erronées, biaisées et hâtives.  À titre d’exemple, les tests standardisés sur une population unilingue ne sont pas adéquats pour diagnostiquer des enfants allophones ou bilingues.  Des erreurs sont également susceptibles de se produire dans ces tests, même chez des enfants ne présentant pas de difficultés langagières.
 
Plusieurs trucs afin de stimuler la connaissance du langage des enfants sont donnés dans le livre.  L’autrice nous rappelle l’importance de la lecture.  Les enfants peu exposés aux livres seront affectés dans leur éducation.  Ces jeunes portent plus attention à ce que l’on fait qu’à ce qu’on leur dit, ce qui est secondaire pour eux.  Ce qui prime pour les enfants est ce qu’ils observent des autres:  leurs comportements, etc.  S’ils ne voient pas leurs parents lire, ils risquent de ne pas y prendre goût, idem si leurs parents ne leur lisent pas des histoires dès leur plus jeune âge.  L’auteure a écrit qu’il n’est jamais trop tôt d’exposer les enfants à la lecture.  En d’autres mots, on n’a pas besoin d’attendre que l’enfant sache parler pour s’y mettre.  Cela est très vrai, je l’ai personnellement expérimenté.  Par exemple, j’ai lu une fois un livre pour enfants à une fillette de 6 ans.  Sa petite sœur, qui était un bébé, réagissait si je ne lui montrais pas aussi le livre avec les images.  Donc, très tôt on peut susciter un intérêt pour la lecture chez les enfants. 
 
Il est plus riche pour un enfant d’être exposé aux livres qu’à des émissions télévisées.  Cela est mentionné dans le livre.  Il est inquiétant d’entendre que maintenant en moyenne les enfants de 5 ans consultent les écrans pendant 9 heures de façon hebdomadaire.
 
Diverses questions très pertinentes sont traitées dans le livre, par exemple:
 
Y a-t-il un âge propice pour devenir bilingue ? Le plus tôt est-il le mieux ? Est-ce vrai que les enfants bilingues apprennent à parler plus tard ? Faut-il être doué pour connaître deux langues en même temps ? Devrait-on parler la langue de l’école à la maison pour faciliter les apprentissages scolaires ? Comment mener les enfants vers une compétence bilingue durable sans créer de confusion chez l’enfant ? Quels sont les pièges à éviter ? Combien de langues un enfant peut-il apprendre ? Quand faut-il s’inquiéter et consulter un orthophoniste ? Comment peut-on préserver sa langue maternelle dans un contexte d’immigration ? Quels sont les ingrédients pour une éducation bilingue réussie ?  Comment détecter un trouble du langage chez un enfant bilingue?
 
Le prologue du livre commence avec une forte citation de Nelson Mandela :  « Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, cela va à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, cela lui va droit au cœur. » On retrouve d’autres citations intéressantes dans le livre comme celle-ci « Une langue différente est une vision de la vie différente. », Federico Fellini.  
 
Il est intéressant que l’autrice nous éduque sur l’importance de ne pas évaluer de façon précoce un enfant en pensant faussement qu’il présente un trouble de langage.  Par exemple, elle explique qu’il est normal pour un enfant d’avoir une période de mutisme lorsqu’il vient d’être exposé à une deuxième langue dans une garderie.  Cette période peut durer jusqu’à 7 mois.  Il utilisera ce temps pour décoder la nouvelle langue tout en s’exprimant notamment de manière non verbale.  Le mutisme pourrait être interprété comme de la passivité, mais il n’en est rien.  Il importe aussi de détecter le type de personnalité de l’enfant:  s’il est introverti, extraverti, analytique, etc.  Ces aspects auront une incidence sur l’appropriation de la langue par le jeune.  Selon moi, il importe également de savoir si l’enfant est auditif ou visuel afin de trouver les méthodes adéquates au niveau de l’apprentissage de la langue.
 
Le livre représente un important outil pour les parents et les différents professionnels oeuvrant avec les enfants plurilingues et ceux qui souhaitent connaître plus d’une langue.  En somme, l’ouvrage répond aux principaux questionnements des parents qui souhaitent éduquer leurs enfants dans un contexte bilingue ou multilingue tout en éclairant les enseignants, éducateurs et autres intervenants œuvrant auprès d’enfants exposés à plus d’une langue.  Il s’agit d’un ouvrage essentiel écrit au Québec car l’une des richesses de cette belle province est le fait que la plupart des enfants des immigrants parlent au moins trois langues :  généralement, l’anglais, le français et la langue d’origine des parents.  Cette spécificité unique rend le Québec distinct en Amérique.
 
Des experts disent que cela peut prendre trois générations pour qu’il y ait une réelle adaptation dans la société d’accueil suite à une immigration.  Il importe donc que les enfants maîtrisent la langue du nouveau pays et maintiennent l’identité des parents en connaissant leurs langues maternelles afin de pouvoir faire le pont entre les cultures.
 
Le livre est très bien structuré, il est divisé en 6 parties.  Plusieurs thèmes sont traités comme:  les avantages du bilinguisme chez les enfants, le maintien du lien d’appartenance avec leur culture d’origine, les rôles de l’orthophoniste dans un contexte multilingue, etc.
 
Il est possible de lire l’ouvrage de l'auteure de manière non linéaire à savoir qu'il est  vraiment organisé, ce qui permet de répérer aisément les informations spécifiques qu'on recherche, le cas échéant.
 
L’auteure rappelle l’importance pour les intervenants de s’informer sur les réalités culturelles de l’enfant au niveau du trouble langagier, par exemple la manière dont cela est perçu dans la culture du pays d’origine.  L’orthophoniste doit aussi connaître la culture familiale de l’enfant notamment les valeurs et croyances.  Il faut donc que les intervenants aient des compétences culturelles afin d’éviter l’utilisation de biais.  Il peut ainsi être amené à travailler en collaboration avec des interprètes, des médiateurs culturels, etc.
 
Le livre se termine avec une liste de multiples ressources reliées au sujet du bilinguisme qui sont toutes disponibles sur Internet.  On retrouve également à la fin du livre un glossaire détaillé facilitant la compréhension des termes utilisés dans l’ouvrage qui est de toute façon très bien vulgarisé.  L’autrice n’a donc pas écrit un livre difficile et hermétique car le but ultime consiste à transmettre l’information de manière accessible.  Elle utilise de nombreux exemples pragmatiques permettant de mieux saisir les notions et de ne pas en faire un ouvrage purement théorique.
 
Somme toute, l’auteure éduque les lecteurs sur l’unilinguisme et le bilinguisme chez les enfants présentant un trouble du langage.  Le livre s’adresse aux gens s’intéressant à la communication, aux professionnels comme les orthophonistes, les enseignants et les éducateurs ainsi que les parents souhaitant exposer leurs enfants à d’autres langues.  L’autrice présente les différents mythes que les gens peuvent avoir concernant leurs réticences et résistances à apprendre à leurs enfants plus d’une langue.  
 
L’auteure rappelle l’héritage culturel que les parents peuvent léguer à leurs enfants en les aidant à développer le goût de la lecture.
 
On retrouve des questions très pertinentes dans le livre:  parmi les nombreuses méthodes d’enseignement linguistique pour les enfants, quelles sont les meilleures ?  Comment aider l’enfant à devenir bilingue et à le rester ? Comment nous assurer qu’il développe son langage adéquatement dans un contexte multilingue ? Quels sont les ingrédients pour accompagner les enfants dans leur apprentissage des langues ?  À long terme, en tant que parents, voulez-vous que vos enfants sachent lire et écrire dans chacune des langues ?  Dans quelle mesure le parent est-il attaché émotionnellement à sa  langue maternelle?  Y a-t-il moyen de modifier certains aspects de la situation familiale, ou faudrait-il réajuster les objectifs?
 
Tel que mentionné, la deuxième édition du livre est sortie sur le marché en 2025.  Il devrait être traduit en plusieurs langues, y compris en créole et tshiluba. Ce livre représente une précieuse contribution en orthophonie et dans les disciplines connexes.  Il s’avère très utile dans un contexte de mondialisation.  Ainsi l’ouvrage est un excellent guide pour les adultes souhaitant accompagner des enfants apprenant d’autres langues.  L’une des beautés du Québec susmentionnée est le fait que généralement les enfants des immigrants (ayant la même langue maternelle) parlent en moyenne trois langues :  l’anglais, le français et la langue des parents.  Le livre de Tupula Kabola s’inscrit manifestement dans cette réalité car au Canada on est exposé à des gens provenant de partout et nous avons le privilège d’échanger avec eux, ce qui représente une grande richesse.
 
En guise de conclusion, le livre de l’orthophoniste a été publié par Les Éditions CHU Sainte-Justine, l’une des meilleures maisons d’édition concernant les enfants.  Cette société relevant de l’hôpital Sainte-Justine a une mission de prévention et d’éducation, ce qui est primordial dans le domaine de la santé physique et mentale.
 
agathekabola
À propos de l’auteure: Agathe Tupula Kabola (www.kabola.ca)  porte plusieurs chapeaux à savoir qu’elle est conférencière, formatrice et chargée de cours pour l’enseignement clinique à l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal.
 
Elle aime partager ses connaissances auprès de la population en intervenant dans plusieurs médias.  L’autrice, ouverte sur le monde, est trilingue:  elle maîtrise le français, l’anglais et l’espagnol.   L’auteure a pris l’initiative de maîtriser la langue maternelle de son père, le tshiluba en ayant commencé son premier cours en 2016.  L’auteure est très active, on retrouve son expertise à Huffington Post Québec 7 astuces pour élever vos enfants bilingues | HuffPost Vivre , elle a écrit cet article pour La Presse Valoriser la langue maternelle, un atout pour la réussite.
 
 
 
 

Le livre est disponible en version papier et Kindle sur amazon.ca et .fr.  On peut également le trouver à https://www.indigo.ca/fr-ca et https://www.renaud-bray.com/.